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praticiens recommanderaient seules en dehors de toute certitude, rattachons-la à une hypothèse, mais à une hypothèse d’ordre scientifique, hautement probable. Si nous obtenons qu’on la considère ainsi, ce qu’elle perdra en adhésions inconsidérées, comme article de foi ou comme règle empirique, elle le gagnera en adhésions réfléchies comme pratique légitimement déduite d’une loi de la nature presque démontrée.

M. Fouillée aime à se placer successivement à divers points de vue, surtout à celui de ses adversaires. Tout en faisant ses réserves sur la légitimité des inductions politiques tirées de la biologie, et en maintenant (p. 138) « que son autorité est sujette à caution quand il s’agit de savoir ce que le corps politique doit être et deviendra un jour » [1], il développe en plusieurs pages éloquentes le sens libéral de notre théorie. Il prend parti pour Spencer contre Huxley et maintient avec le premier contre le second que les appareils régulateurs qui exercent dans l’organisme les fonctions gouvernementales n’excluent pas, mais supposent au contraire l’initiative et l’autonomie des autres appareils[2]. De ce point de vue, on montre avec clarté que la loi de toute association organique est la spontanéité des éléments composants ; de\plus, on doit réserver, comme l’établit très bien M. Fouillée, au pouvoir central qui émane de la libre adhésion des individus, une initiative d’autant plus large qu’il puise en eux les forces qu’il exerce. La doctrine libérale ainsi conçue est hypothétique, comme l’assimilation de l’organisme social à l’organisme individuel, mais elle repose comme celle-ci sur de puissantes analogies et revêt ainsi la haute probabilité qui s’attache à une théorie scientifique en voie de démonstration.

Reste à savoir si le pouvoir central sera mieux représenté par un seul cerveau, comme semble le penser M. Renan dans les Dialogues philosophiques, ou par plusieurs. Bref, dans une sociologie biologique, un chapitre, que nous ne pouvons songer à donner’ici, — nous ne faisons que passer en revue les problèmes fondamentaux de la science, — un chapitre, disons-nous, devrait être consacré à la comparaison des diverses formes de délégation gouvernementale. Lequel vaut le mieux, c’est-à-dire lequel accuse une organisation supérieure, ou le pouvoir d’un seul, ou le pouvoir de plusieurs ? Est-il

  1. Le lecteur remarquera ici la confusion entre le sens de pure futurition et celui d’obligation, que notre langue rend si facile dans cette phrase : « ce que le corps politique doit être et deviendra un jour. » Il y a du reste un lien entre ces deux sens ; je me sens près de faire ce à quoi je me vois obligé ; mon devoir est ma destinée et mon avenir probable.
  2. Voir Spencer, Essais de politique, pp. 138 et 191.