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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

vrai qu’une société sans chef unique soit une société acéphale, un organisme sans tête ? Et, en général, que doit-on penser, d’après nos théories, du rôle des individus comme tels dans le gouvernement des sociétés ?

Ici encore, nous ne pouvons que suggérer des hypothèses et indiquer des analogies. Nous ne savons pas comment la pensée et l’exécution se répartissent dans le cerveau de l’individu entre les diverses cellules, ni si l’une d’elles ne joue pas dans tout processus aboutissant à l’action un rôle prépondérant. Mais nous savons comment les choses se passent dans les sociétés animales lorsqu’elles ont quelque travail à accomplir en commun. Un individu y exerce toujours une action prépondérante. Dans celles qui sont dépourvues sous ce rapport d’organisation fixe, toute combinaison nouvelle, toute invention pratique dérive de l’initiative d’un des membres, simplement suivi ou imité par les autres, qui complètent ensuite petit à petit l’indication primitive. Dans les sociétés supérieures où la division du travail plus parfaite a donné naissance à un organe d’information et d’action spécial, c’est tantôt un seul, tantôt plusieurs animaux plus sages et plus âgés ou plus forts qui donnent le signal de toutes les actions communes. Le gouvernement d’un seul est peut-être le cas le plus fréquent. Faut-il en conclure que tel soit le meilleur régime pour les sociétés humaines civilisées ? La chose serait absorbe, si les sociétés animales et les sociétés humaines appartiennent sinon tout à fait à la même série, du moins à une suite de groupes dont les secondes occupent le sommet. Mais on peut en inférer que l’action n’atteint son but avec certitude et précision dans un amas d’êtres indépendants que grâce à la spécialisation des fonctions hégémoniques. Dans les sociétés humaines, le pouvoir central a revêtu bien des formes ; mais il y a toujours eu dans les appareils chargés de l’exécution une concentration plus ou moins forte, et cette concentration n’a fait que s’accentuer à mesure que les organismes sociaux se sont perfectionnés. Les appareils délibératifs dans une phase plus avancée se sont constitués à part et ont pris une importance croissante ; mais la même loi s’est vérifiée dans leur évolution. L’histoire des parlements dont l’action a été la plus considérable nous montre que les partis s’y sont groupés sous des chefs. La différence entre les sociétés inférieures et les sociétés supérieures, et dans une même société entre les organes d’exécution et les organes de réflexion, n’est pas dans la présence ou l’absence de chefs, toujours une action collective se personnalise en un individu, elle est dans le mode de subordination, ici passive et contrainte, là spontanée et volontaire. Si donc une république était dépourvue de pouvoir exécutif centralisé, si une assemblée déli-