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bérative n’avait pas de président, et que, dans cette assemblée les divers groupes, et que dans le pays les divers partis n’eussent pas de chefs, ces divers organismes mériteraient bien le nom d’acéphales que Jæger donne à toutes les républiques sans distinction. Un marché peut se passer de chefs, les transactions s’y font d’individus à individus, ces sortes d’organes peuvent fonctionner sans des centres directeurs ; mais il n’en est pas de même des organes chargés des fonctions de la vie de relation. Nulle idée, nulle résolution ne se produisent dans un corps vivant à l’état sain sans avoir transpiré pour ainsi dire à travers les parties de l’organisme propre à les produire, mais toute idée qui atteint le terme de son développement se suscite un interprète, et toute volonté sociale énergique sait se trouver un instrument. Il suffit d’avoir observé les assemblées délibérantes quelconques et les foules d’hommes travaillant à une action commune sans organisation préalable (comme dans un incendie ou un sauvetage), pour être pénétré de la nécessité absolue où sont les unes et les autres de se ranger sous des chefs, les premières pour aboutir à une résolution, les secondes pour produire un effet utile. Tant vaut le groupe, tant vaut l’homme qui le personnifie. Selon toutes les probabilités, le rôle indispensable des individus, méconnu par l’école de Rousseau, pour qui toute délégation est une abdication, et qui tend à niveler toutes les personnalités sous prétexte quelles ont toutes une valeur absolue, sera mis en lumière par l’école sociologique et ce sera un grand bienfait que certaines démocraties lui devront

Quant à la supériorité des sociétés qui se gouvernent elles-mêmes sur les monarchies autoritaires à cerveau unique, elle est au-dessus de toute discussion, du moins d’après notre interprétation hypothétique des faits sociaux. Si ce que nous avons dit plus haut de la conscience collective est vrai, il n’y a pas lieu de comparer le gouvernement d’un seul réduit à ses seules lumières et le gouvernement qui participe à la sagesse et à l’énergie d’une conscience nationale hautement organisée. La conscience, nous l’avons vu, est partout ; si elle se concentre en certaines parties du corps social, celles-ci ne peuvent que représenter les idées et les impulsions qui lui parviennent du corps tout entier. En sorte que l’individu n’est rien sans son groupe, comme le groupe n’est qu’en puissance tant qu’il reste anonyme. Gouverner sans une représentation nationale est, suivant ces données, aussi absurde pour un chef d’État moderne qu’il le serait pour une nation de vouloir vivre sans gouvernement.

On tirera successivement des mêmes principes biologiques toute une politique très libérale, plus libérale que celle du Contrat social,