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M. Louis Blanc par exemple ; mais cet appel platonique aux principes absolus est sans doute à ses yeux sans danger, puisque ses convictions religieuses lui réservent un moyen de « mettre en rapport » ces libertés pures autrement qu’en les juxtaposant (en les subordonnant, je suppose, aux pouvoirs établis par Dieu). Quoi qu’il en sait des solutions personnelles de l’illustre professeur, sa polémique sur ce point est aussi nette que passionnée ; elle est plus scientifique que les tentatives de conciliation qui affadissent tout. IE est certain que l’idée du droit est non pas abolie ni même entamée, suivant l’hypothèse évolutionniste, mais transformée et interprétée à nouveau. Pour les spiritualistes, le droit est natif et individuel ; pour les naturalistes, il est consécutif à l’action sociale, il est un fait d’opinion. « El n’y a, selon nous, dans la constitution personnelle de l’homme (qui naît), rien qui puisse fonder par exemple le droit de vivre, de se nourrir, de posséder, etc. » Nous allons jusque-là, et M. Fouillée[1] devrait y aller avec nous, s’il poussait jusqu’au bout certaines de ses idées, car, s’il n’y a rien de transcendant au fond de la conscience humaine, un enfant qui naît n’a de droits que pour des hommes, et pour des hommes civilisés ; son aptitude à être une personne morale dépend de la mesure où le droit est reconnu dans le milieu social où il apparaît. S’il naît fille dans certaines tribus sauvages, son droit consistera à s’acquitter de tous les travaux pénibles, à manger des racines et à être battu ; s’il naît ailleurs du sexe masculin dans une famille royale, il aura le droit de vie et de mort sur les autres membres de la tribu. La société ne se borne pas à définir et à sauvegarder les droits, elle les constitue, puisque le droit n’est pas autre chose que la valeur attribuée à la personne humaine par l’opinion dans un pays donné. Il est évident qu’il ne s’applique ni aux loups ni aux moutons ; mais le fait seul d’appartenir à l’espèce humaine dans les pays civilisés et d’appartenir au groupe dans les pays sauvages est son fondement objectif indépendamment de toute croyance métaphysique. L’enfant est respecté chez nous non pas parce qu’il a contracté quoi que ce soit, non pas parce qu’il est une liberté absolue, ce qui n’a vraiment pas de sens, mais parce que depuis quelques siècles en Europe il est convenu que l’homme même faible, même naissant, même à naître est la chose du monde la plus respectable pour l’homme. Cette convention a pour garantie finale des sentiments sympathiques accumulés, dont la force est irrésistible et qui éclatent dès que cette personne, surtout lorsqu’elle est faible, souffre la moindre violence, Quant à admettre qu’elle est absolument respec-

  1. Science sociale, p. 29.