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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

table, nous sommes disposé à le faire ; mais nous donnerons à ce mot un sens un peu différent de celui que les géomètres du droit lui attribuent ; l’absolu sera pour nous ici comme ailleurs une limite mobile, un degré extrême très variable, qui se traduira dans les règles pratiques par les mots « autant que possible » ou « toutes les fois que la nécessité la plus impérieuse ne nous contraindra pas d’agir différemment ». En fait, les spiritualistes n’attachent pas un autre sens au terme d’absolu. La personne humaine cesse d’être inviolable pour eux en maintes circonstances, en cas de légitime défense, en cas de guerre, surtout de guerre avec des sauvages, en cas de crime, en cas de rébellion de la foule contre l’autorité ou de l’autorité contre les lois, même dans un accouchement en cas de danger pour la mère. Un léger délit peut quelquefois sur un navire ou dans une armée mutinée exiger une répression sanglante. La vie de l’homme n’est pas ici une fin en soi, elle est subordonnée aux fins du groupe, Dans la pratique, le relatif reprend ses droits méconnus par les formules géométriques de la théorie. Le conflit des forces vivantes déplace incessamment le niveau conventionnel par lequel on prétend les régler. D’après la théorie tous les hommes sont égaux. On a oublié les idiots et les gâteux, qui végètent dans les hôpitaux ; mais passons. Oui, les sociétés civilisées assurent à tous les hommes un minimum d’action juridique et politique au-dessous duquel nul n’est refoulé sans que l’opinion s’émeuve ; mais est-ce que ce minimum ne peut s’élever encore, comme il s’est successivement élevé dans l’histoire[1] et ne peut-il pas s’abaisser quand l’opinion devient indifférente, comme cela est arrivé chez nous en certaines heures de défaillance nationale ? Que si le principe est absolu, comment se fait-il qu’on ait exclu les femmes des droits politiques ? Est-ce qu’elles ne sont pas douées de la liberté métaphysique ou n’ont pas pris part au contrat ? Et, en dehors de cette inégalité fondamentale, est-ce que, dans toute la hiérarchie, les droits, c’est-à-dire les limites de l’action considérée comme légitime, autorisée par l’opinion et les lois, ne diffèrent pas avec les fonctions ? Minimum ou maximum, dans toutes ses manifestations, le droit est-relatif : relatif à la valeur des individus, relatif aux temps et aux milieux, relatif aux progrès de la raison publique et des mœurs. Non que ce caractère conventionnel et cette dépendance par rapport à l’opinion en fassent un vain artifice et lui enlèvent toute réalité objective. Ici, l’idée et la réalité se confondent, comme M. Fouilliée l’a si bien montré. La société se tient debout par le respect du droit et l’em-

  1. Pour M. Cousin, le droit de suffrage n’était pas un droit primordial.