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mation des hommes supérieurs. On compte beaucoup de vigoureux et robustes capitaines, d’honnêtes soldats, de bons Français, point de grands hommes, en aucun genre, qui portent le nom de Montmorency. Mais voici l’amiral de Coligny[1] et le grand Condé[2], qui sont des Montmorency par leurs mères. La famille de Montmorency eût donc pu être socialement éteinte ; elle eût revécu naturellement dans les deux illustres personnages que nous venons de rappeler. De même, le fameux connétable de Saint-Paul se retrouve dans les Guise, et, comme dans la plupart des cas, c’est par la voie féminine qu’il est, pour ainsi dire, rentré dans l’histoire. Sa petite-fille Antoinette de Bourbon épouse Claude de Guise, le fondateur de la maison. Or « elle avait, dit Michelet, le sang de son aïeul, avec une violence sinistre qu’elle fit passer à ses enfants ; » ce fut elle qui poussa François au massacre de Vassy. Ainsi encore, les célèbres capitaines Maurice et Henri de Nassau revivent dans Turenne, leur neveu, le fils de leur sœur Elisabeth.

Mais la famille que nous appelons ici naturelle se distingue encore d’une autre façon de la famille sociale. Il arrive très souvent que les historiens nous disent : Telle famille, la famille des Saulx-Tavannes, la famille des Guise, commence avec tel personnage, en telle année, C’est en cette année effectivement que le nom, le titre, les privilèges distinctifs de cette famille apparaissent pour la première fois. Mais enfin ce fondateur avait lui aussi une famille et des aïeux. Il arrive même très souvent que c’est lui qui restera le représentant le plus illustre de ce nom qu’il inaugure, et que la décadence, plus ou moins rapide, commencera dès après lui[3]. On peut en conclure que, s’il résume en sa personne un certain nombre de qualités différentes qui se complètent les unes les autres, il les tient précisément de cette famille antérieure, que le nom nouveau dont il se fait gloire va laisser dans l’obscurité. Ceux-ci, lisons-nous, viennent d’une vieille famille d’Anjou, ceux-là d’une vieille famille de Lorraine ou de Provence ;

  1. Fils de Gaspard de Coligny et de Louise de Montmorency. Celle-ci était la sœur du connétable Anne, l’un des plus héroïques de la maison. Les études les plus récentes tendent à relever la gloire de l’amiral de Coligny et à faire de lui l’un des plus grands personnages de cette époque troublée.
  2. Sa mère était la fameuse Charlotte de Montmorency, dont Henri IV fut si éperdument amoureux. Elle avait, dit Michelet (voy. Histoire de France, t. XI, p. 110), avec une beauté fatidique, légendaire, le cœur haut et ambitieux. Henri IV, expliquant à Sully ce qu’il avait éprouvé devant elle, lui disait que dans son regard elle lui avait paru unique, non seulement en beauté, mais en courage. Et le poétique historien s’écrie qu’il y avait dans ses yeux « comme un éclair de Rocroy ».
  3. C’est très exactement le cas pour la famille des Saulx-Tavannes, d’après son intéressant et judicieux historien, M. L. Pingaud.