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à la complexité des relations commerciales et sympathiques, alors il faudra bien reconnaître que, pour être, elle doit vouloir simultanément l’existence de l’organisme supérieur ainsi constitué. Nous me pouvons nous refuser à cette conséquence.

On insistera, et l’on nous demandera ce que nous devons faire en attendant ; devons-nous diriger nos sympathies de manière que ce groupe supérieur se forme ? Ici c’est le désir, c’est le vouloir être qui fait l’être. L’art est donc premier par rapport à la science, et Te dernier mot appartient à l’impulsion vitale. La science suit la conscience. Quel guide prendrons-nous pour le désir et pour la conscience, là où la science n’a pas encore d’objet, puisqu’il s’agit de ce qui sera ? — Nous sommes en face de la plus grande difficulté de la sociologie, et voici comment elle nous paraît pouvoir se résoudre. La science et l’art sont des distinctions ultérieures par rapport à une réalité complexe qui est la vie même ; or, dans le développement de la vie, il n’y a pas de commencement absolu. Un ordre de choses qui se forme préexiste toujours à l’état de germe. Par exemple, lorsque dans l’Amérique du Nord un nouvel État a été constitué, il y a toujours eu entre sa population et celle des États antérieurs des relations de toutes sortes qui se sont établies nécessairement « et sans délibération de la part de ses membres. Lors donc que es citoyens de cet État se sont demandé s’ils devaient subordonner leurs intérêts à ceux des États-Unis, ils se sont trouvés en présence de liens existants et d’une solidarité organique qui portait déjà ses fruits. La question a donc été pour eux de savoir non s’ils devaient de plano inaugurer une politique d’union, mais si cette politique résultant de la direction déjà imprimée à leurs affaires par les faits mêmes et déjà nécessaire à leur existence devait être continée. Il n’y avait pas de doute. De même, lorsque les Français, par exemple, se sont demandé, comme ils ont dû le faire vers le milieu de ce siècle, s’ils devaient continuer vis-à-vis de l’Angleterre la politique haineuse qui avait été si à propos sous la Révolution et sous l’Empire, ils se sont aperçus que les deux nations étaient unies par des intérêts si considérables, que la guerre entre elles serait une folie ; ils ont dû dès lors changer de sentiments et tendre à resserrer les liens de toutes sortes qui les rattachaient à leurs voisins. La constatation des faits établis doit toujours éclairer et déterminer la volonté ; mais les faits s’établissent d’eux-mêmes, et la volonté s’y adapte sans réflexion dans une entière ignorance du but, avec une parfaite spontanéité. Les sympathies naissent avant qu’on se soit demandé si l’État de choses existant les rend opportunes. Ce qui revient à dire que da nature nous