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acquise par leur naissance, mais non gagnée par leur travail… La justice ne sera atteinte que quand la moitié de la succession passera à l’État, l’autre moitié aux héritiers directs. » Les pauvres en effet ne le sont que par une injustice sociale : « Tout homme dans la société humaine a le droit de vivre. Cette proposition contient pour ainsi dire le socialisme tout entier : droit de vivre, de la vie physique intellectuelle et morale puisque tel est le développement un et triple de la vie humaine et complète. Réciproquement, si chacun a le droit de vivre, tous ont le devoir d’aider chacun à vivre physiquement, intellectuellement et moralement. Et la société est comptable en grande partie de la misère, de l’ignorance et des vices qu’elle ne détruit pas[1]. » De là le droit au travail, le droit à l’instruction gratuite à tous les degrés, le droit au crédit industriel et agricole, etc. On voit ici le socialisme communiste, la négation de la propriété dériver du principe de l’appropriation par le travail comme de sa source naturelle. Et en général l’individualisme, le droit absolu, imprescriptible des individus est invoqué de la manière la plus légitime pour fonder les conséquences les plus attentatoires à la liberté même et les plus déraisonnables au point de vue économique[2].

Or le socialisme utopique n’est pas mort chez nous, ou plutôt il ressuscite à l’heure qu’il est. Un groupe très divisé, mais vivant, qui se rattache étroitement à la Commune d’un côté, au parti intransigeant de l’autre, publie une revue, traduit les œuvres des socialistes étrangers, de Lasalle notamment, multiplie les prédications enflammées, cherche enfin à se faire une place dans la politique d’action. Avec quels arguments les spiritualistes le combattront-ils ? Lui opposeront-ils la doctrine de Rousseau ? Mais c’est celle des radicaux, ses meilleurs amis ! Lui objecteront-ils que la propriété dérive du travail et que celui qui n’a pas travaillé n’a droit à rien ? C’est précisément le principe sur lequel se fondait le socialisme de 1848 ; on ajoute aujourd’hui que les travailleurs seuls doivent posséder les moyens de production, parce qu’eux seuls peuvent en justifier la propriété par le travail qu’ils consacrent à les mettre en œuvre. C’est toujours le même argument.

À un socialisme utopique et extravagant à notre sens, on n’op-

  1. Catholicisme et socialisme, par***. Extrait de la Liberté de penser. Qu’on nous permette de ne pas nommer l’auteur, sans doute fort revenu de cette ferveur juvénile pour les droits absolus.
  2. La propriété radicalement individuelle exclut l’expropriation pour utilité publique et fait de l’impôt même une servitude, sinon pour ceux qui sont censés l’avoir consenti, du moins pour les adversaires de la loi qui ont protesté jusqu’au dernier moment contre elle et pour les femmes, qui ne votent pas.