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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

posera avec succès qu’un socialisme raisonnable, scientifique autant que possible, qui corrigera les fausses interprétations des lois économiques et sociales d’où dérivent ces dangereuses chimères. Lui seul montrera d’abord que la société est faite pour tous les individus, que partant elle n’est faite pour aucun en particulier, bref qu’elle n’a pas pour fin exclusive la satisfaction de tel ou tel de ses membres, mais qu’elle a pour fin d’exister avant tout ; ensuite que le travail a pu être l’origine de l’appropriation dans certains cas sous la garantie de l’État (la possession reste virtuelle tant qu’elle n’est pas reconnue et protégée par un pouvoir organisé), mais que très souvent elle est dérivée de partages ou d’attributions diverses opérées par la société au moment où la propriété n’était pas encore consolidée dans sa forme actuelle, que cette consolidation est maintenant un fait accompli, garanti par la société même, nécessaire au fonctionnement économique, que toute transformation durable s’effectue graduellement, et que, en supposant que l’association doive aboutir un jour à mettre le capital aux mains des travailleurs, cela ne se peut faire instantanément sans un déchirement organique mortel, qu’enfin on peut être sûr que toutes les entreprises et toutes les fonctions de nature à devenir des œuvres collectives passeront un jour ou l’autre à l’état de services publics, et que dans la mesure du possible, selon l’opportunité des temps, l’idéal des socialistes, contrôlé, révisé par la sociologie, entrera ainsi dans la pratique ; mais qu’il faut d’abord compter pour l’introduction de pareilles réformes sur le libre jeu des forces économiques. Bien d’autres arguments sont tenus en réserve par la sociologie contre les utopies radicales, soit en fait de gouvernement, soit en fait d’organisation économique : la politique à priori ne peut que leur prêter des armes.

Une autre raison doit engager ceux qui spéculent sur ces difficiles problèmes à ne pas avoir peur des mots et à poser résolument la société comme fin des activités individuelles. C’est qu’il n’y a de morale satisfaisante qu’à cette condition.

Pour les partisans du droit à priori, la politique n’est qu’une application de la morale. Ils ne voient dans la vie sociale que des relations individuelles, que des libertés pures en contact. Pour la philosophie de l’évolution, la morale dérive au contraire de la sociologie ; on n’est obligé qu’envers son groupe et envers ceux qui le composent en tant que membres du groupe. Tel est à notre avis, en dehors de la foi au noumène, dont M. Fouillée a montré d’ailleurs ici même l’insuffisance sur ce point capital, la seule manière de poser utilement le problème de la moralité.

Si je ne suis pas obligé par la raison qui me révèle la présence en