Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
531
la mécanique et la liberté

la force on ne peut se rendre un compte exact de la marche naturelle des phénomènes, et qu’il y en a à côté d’elle une autre qui la complète et la domine », celle qu’il appelle la loi de la fixation de la force. D’après sa manière d’envisager les choses, qui est très juste et qui par conséquent ne doit pas nous retenir, la force, dans sa nouvelle signification, n’est plus une quantité constante, elle s’use au contraire au fur et à mesure qu’elle s’exerce et va sans cesse en diminuant ; les êtres vivants peuvent donc y puiser. La loi de la conservation de l’énergie se trouve ainsi mise hors de cause. « Libres où non, l’homme et les animaux ne font que convertir sans cesse de l’énergie transformable en intransformable ; » mais ils n’enlèvent et n’ajoutent rien à la quantité d’énergie qui existe : le total est constant, seul le rapport des termes varie.

On voit le champ d’activité laissé à des forces libres. « La loi de la conservation de l’énergie, nous dit M. Delbœuf (2e art. , III), s’oppose uniquement à ce que des êtres libres, s’ils existent, puissent créer ou détruire des forces, et non à ce qu’ils disposent de celles qui sont en eux. » Mais que faut-il entendre par disposer d’une force ? C’est ici que nous ne sommes plus d’accord avec l’auteur, « Disposer d’une force, dit-il, ne signifie en aucune façon changer sa direction ou son point d’application, parce que ce serait là aussi créer ou détruire de la force. » Cette raison n’est pas péremptoire ; on ne peut assurément mettre en doute qu’une force ne peut pas d’elle même changer sa direction, et que pour modifier un mouvement il faut l’intervention d’une force étrangère ; mais s’ensuit-il qu’il y ait, de par cette intervention, création ou destruction de force ? Non, la direction n’entre pour rien dans la quantité du mouvement. Si une force ne peut changer d’elle-même sa direction, ce n’est pas en vertu du principe de la conservation de l’énergie. Aussi, quand M. Delbœuf ajoutera : « Qu’est-ce donc qui peut être à leur disposition ? Une seule chose : le temps. Les êtres libres auraient la faculté de retarder ou d’avancer la transformation en force vive des forces de tension dont ils sont le support » devrons-nous réclamer en faveur de l’espace, dont la jouissance n’est pas plus que celle du temps défendue aux êtres libres par la loi de la conservation de l’énergie.

Et, en fait, il nous sera facile de montrer que, partout où l’auteur fait intervenir le facteur temps, on peut lui mettre en parallèle le facteur espace. Ainsi, quand, sous le nom de temps réel, il nous fait une description animée et entraînante de la succession des événements, il aurait pu tout aussi bien nous représenter le jeu de la machine universelle se déroulant dans l’espace et produisant des phénomènes simultanés. La vie universelle ne descend pas le long