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goutte d’eau fait partie d’une courbe à caractères constants et définie depuis toute éternité, image de la constance des forces de la nature dont elle est une résultante ? Mais, si les forces de la nature conservent une intensité totale invariable, l’action qu’elles exercent sur une molécule considérée à part ne saurait être qu’une résultante très variable, en raison du perpétuel changement de leurs positions. À chaque choc qu’une molécule subit, elle doit changer de détermination. Si les corps célestes nous présentent des mouvements continus, c’est, que pendant le temps qu’il est donné à l’espèce humaine de les considérer, ils ne subissent point d’influence appréciable pour les faire dévier de leur orbite, et qu’ils n’ont à obéir qu’à leur impulsion initiale et à l’action régulière et continue de forces constantes.

Ainsi, si nous ne nous trompons, la discontinuité, c’est-à-dire le changement de détermination d’un mobile, serait le résultat non pas seulement d’une action libre, mais de toute action nouvelle, bien que déterminée et prévue, venant s’ajouter à celles qu’a déjà subies le mobile.

Dès lors que nous ne faisons pas de la discontinuité la caractéristique des mouvements libres, il est inutile de rechercher si l’on peut la reconnaître.

À ce compte, nous ne saurions donc pas distinguer le mouvement d’un animal de celui d’un corps quelconque ? Non, si l’on nous demande une distinction catégorique, susceptible de démonstration mathématique. Mais nous nous empressons de reconnaître qu’entre les mouvements des animaux et ceux des corps inanimés il y a des différences considérables, facilement saisissables, puisque les intelligences les plus bornées ne s’y laissent pas tromper. Ce qui distingue surtout les premiers, c’est : 1o qu’ils sont continuellement, essentiellement variables, discontinus ; 2o que nous ne voyons pas les forces qui les produisent, les ressorts qui les dirigent[1].

Dr Grocler.

  1. Le 2e est à tout le moins superflu. Les choses extérieures sont ce qu’elles sont indépendamment de notre plus ou moins de pénétration. Une souris mécanique, quand elle émerveille un enfant ou étonne un jeune chat, n’en est pas davantage une souris. (J.-D.)