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De même, M. Janet, dans le paragraphe qu’il a bien voulu consacrer à notre théorie sur l’idée de liberté[1], réfute ce que nous n’avons pas dit et ne réfute pas ce que nous avons dit. Il nous prête en effet cette assertion absolue : « La liberté n’est autre chose que l’idée de la liberté, » — La liberté empirique, celle qui est saisissable à la conscience et la seule que nous puissions constater en nous avec certitude, oui ; mais nous n’avons pas confondu l’idée de la liberté avec la liberté métaphysique des spiritualistes. Nous nous sommes borné à dire que l’idée de liberté produit en nous une approximation indéfinie, un équivalent pratique de cette liberté. Nous n’avons pas prétendu que le polygone dont nous parlions tout à l’heure, en se rapprochant du cercle, fût jamais le cercle idéal. Nous n’avons pas dit non plus que l’idée du bâillement, par exemple, rendit le bâillement libre, mais qu’elle tend en fait à produire le bâillement. De même, l’idée d’une résistance possible et désirable à un motif tend à produire cette résistance, l’idée de notre puissance et de notre indépendance possible tend à produire cette puissance et cette indépendance, l’idée de liberté en un mot tend par le déterminisme même à nous rapprocher d’un état idéal de liberté, c’est-à-dire du maximum d’indépendance qui doit appartenir à la puissance intelligente par rapport aux forces extérieures et inférieures. L’exemple même du bâillement se retourne contre M. Janet, car, si l’idée peut avoir de l’influence même sur un phénomène réflexe non soumis à l’action directe du centre cérébral, si par exemple la pensée de l’inconvenance qu’il y aurait à bâiller peut en certains cas arrêter le bâillement, à plus forte raison l’idée de notre empire possible sur les mouvements volontaires peut-elle nous rendre maîtres de ces mouvements. Il y a donc là un ensemble de faits psycho-physiologiques important, un domaine commun aux déterministes et aux partisans de la liberté ; c’est, ou bien le point où le déterminisme imite et supplée la liberté, ou bien le point où la liberté agit au sein du déterminisme.

Nous venons de reconnaître la possibilité de concevoir l’idée de liberté et la force pratique de cette idée, pourvu toutefois qu’elle soit rationnelle et méthodique ; dès lors vont tomber les diverses objections de M. Secrétan, qui nous fait confondre l’idée avec l’utopie, comme sont tombées celles de MM. Renouvier, Delbœuf, Marion et Janet, qui nous font confondre l’idée avec la chose. La première objection de M. Secrétan, c’est que le déterminisme rend inutile toute

    M. Marion dans la Liberté et le déterminisme, pp. 39, 240, 211, 233, et dans notre lettre à M. Benamosegh, (Revue philosophique, décembre 1879).

  1. Psychologie, p. 318.