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FOUILLÉE. — expédients en faveur du libre arbitre

dieu sauveur. « Toute action sur les forces naturelles se réduit en dernière analyse à conduire vers la droite un mobile qui s’en allait vers la gauche. Ou l’homme a ce pouvoir, ou il n’est pas libre. Ce résultat, comment peut-il l’atteindre sans compromettre la loi de la conservation de l’énergie ? En disposant du temps[1]. » — « Les êtres libres auraient la faculté de retarder ou d’avancer la transformation en force vive des forces de tension dont ils sont le support[2]. » Si, par exemple, injurié par quelqu’un, j’aile pouvoir de remettre à demain le mouvement de mon bras qui aurait produit un soufflet, il est clair qu’on ne pourra prévoir si je donnerai ou ne donnerai pas le soufflet au moment où l’on m’injurie. « Si les êtres libres disposent en cette manière du temps, toute prévision en ce qui les concerne devient impossible, et, par conséquent, nul ne peut prévoir tout l’avenir. Voici un tas de poudre : que vous l’enflammiez aujourd’hui ou demain, la grandeur de l’effet mécanique est la même ; mais aujourd’hui l’explosion produira un travail utile ; demain elle causera des morts par centaines. C’est que, dans l’intervalle, le temps a marché, entraînant avec lui tout ce qui est susceptible de changement. » Notre volonté aurait ainsi le pouvoir de « suspendre ou de précipiter le temps », non sans doute le temps abstrait, mais « le temps réel », comme Josué arrêta le soleil ; Ô temps, suspends ton vol. N’y a-t-il point là un miracle au : si improbable que ceux de la Bible ?

La vraie question est de savoir, non pas si l’explosion du tas de poudre de M. Delbœuf ou la combustion de la bougie de M. Naville est mécaniquement équivalente aux forces de tension, quel que soit le temps où l’explosion et la combustion se produiront, mais si je puis à mon gré, moi, laisser s’opérer aujourd’hui ou remettre à demain l’explosion de la colère dans mon cerveau, la transformation de mes forces de tension en force vive ; et cela, sans qu’il y ait modification dans l’intensité, la direction ou le point d’application des forces, conséquemment sans création ou annihilation de force. Or ce que MM. Naville et Delbœuf croient possible, nous le croyons impossible, du moins, en vertu des principes admis par MM. Delbœuf et Naville.

En effet, dans les phénomènes mécaniques de la réalité concrète, ce ne sont pas seulement l’intensité, la direction et le point d’application des forces qui sont déterminés ; c’est aussi le temps. Si un certain nombre de forces composantes sont données, la résultante est donnée à un point déterminé du temps comme de l’espace. La résultante ne peut pas dire : « Je ne suis pas prête, attendez. » Quand je

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