Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
629
TANNERY. — concept de l’infini

IV

xénophane physiologue

Les deux divergences que nous venons de signaler entre Anaximandre et Xénophane pour ce qui concerne les attributs de l’Univers sont évidemment capitales. Aussi n’avons-nous point à nous étendre sur leur importance, mais sur leur origine et leurs motifs.

Pour l’éternité, il n’y a pas de difficulté ; c’est, pour Xénophane, la conséquence logique de la polémique qu’il soutient contre les croyances religieuses du vulgaire, et que nous avons essayé de caractériser. Le ciel d’Anaximandre, qui naît et mourra, ne peut, certes, pas mieux le satisfaire que l’Ouranos d’Hésiode ; il remonte au principe, à l’ἄπειρον inengendré et indestructible il lui transporte la vie ; voilà le dieu qu’il faut à sa pensée.

Mais si, pour cet attribut de l’éternité, nous n’avons pas besoin de nous enquérir plus avant des opinions cosmologiques de Xénophane, il en est tout autrement en ce qui concerne l’immobilité. Le poète de Colophon attribuait-il un sens précis à l’infinitude de l’Univers ? avait-il sur ce point une doctrine constante ? est-ce bien parce qu’il considérait l’Univers comme infini qu’il en niait le mouvement révolutif ?

Nous voici ainsi ramenés aux questions qui font l’objet principal de cette étude. Mais leur solution est d’autant plus difficile que les témoignages de l’antiquité sont sur ce point en contradiction formelle.

Si l’on se bornait aux renseignements concernant la façon dont Xénophane se représentait le monde, il n’y aurait pas de doute ; l’univers serait infini, et le mouvement général de révolution en serait exclu par là même. Mais, sur cette question même de l’infinitude, un seul auteur, Nicolas de Damas paraît dans l’antiquité s’être prononcé dans le sens que nous indiquent cependant les fragments les plus authentiques de Xénophane. Les autres sources prétendent ou qu’il a cru à la limitation du monde, ou qu’il ne s’est pas prononcé, ou encore qu’il a soutenu le pour et le contre.

Nous sommes donc amenés, pour résoudre la question, à étudier ce que vaut en réalité, comme physicien, le poète de Colophon. Quand nous l’aurons apprécié nous pourrons mieux juger de l’importance à attribuer à la divergence des témoignages relatifs à son opinion controversée.