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Et d’abord Xénophane a-t-il bien un système de physique ? À la vérité, les traits épars dans ses fragments et dans les autres renseignements fournis sur son compte se laissent coordonner assez bien, en ce sens du moins qu’ils ne présentent pas entre eux de contradictions formelles. Mais il est impossible d’y reconnaître un lien véritablement organique. On dirait au contraire que l’humour du poète se donne libre carrière dans d’amusantes parodies des explications tentées avant lui, ou dans de paradoxales gageures soutenues contre le témoignage des sens.

N’est-ce point, par exemple, pour tourner en dérision la prédiction d’une éclipse par Thalès[1] que Xénophane annonçait à son tour une éclipse qui durerait un mois, puis une autre qui ne finirait pas[2] ? Comment de même prendre tout à fait au sérieux toutes les assertions qui vont suivre ?

La terre, plate, n’a point de limites, ni de côté ni en-dessous ; ses racines s’étendent à l’infini ; au-dessus, l’air est également infini[3]. C’est bien là le rêve d’un poète :

Que sa face ne soit pas ronde,
Mais s’’étende toujours, toujours[4].

Les astres, depuis le soleil jusqu’aux comètes, les météores, des étoiles filantes jusqu’au feu Saint-Elme[5], ne sont que des nuées incandescentes. Formées par les exhalaisons humides qui se réunissent et arrivent à constituer comme un tissu feutré[6], ces nuées s’enflamment, soit par suite du rapprochement qui s’opère ainsi entre les particules ignées qu’elles renferment, sait en raison même de leur mouvement.

Ce mouvement, pour les astres, est rectiligne et a lieu suivant une droite indéfinie ; l’apparence de circularité de leur orbite est une illusion due à la distance. Il est à peine besoin de faire remarquer qu’il y a là un paradoxe insoutenable pour quiconque possède quelques notions de géométrie.

Les astres que nous voyons ne sont donc jamais les mêmes ; chaque jour, chaque nuit, de nouveaux se succèdent. Xénophane aurait pu soutenir qu’ils ne s’éteignent pas et continuent indéfiniment leur course ; mais a-t-il craint de leur attribuer une éternité qui en eût fait des dieux ? a-t-il donc tenu à les réduire au rang de

  1. Prédiction dont il avait parlé. — Diog. Laert., I, 23.
  2. Plut., Plac. phil. Il, 24.
  3. Xénoph. fr. , 12. — Empedocl., v.  287-289, éd. Didot.
  4. Sully-Prudhomme, Renaissance.
  5. Plut., Plac. phil., II, 18, 18, 20, 25 ; III, 2.
  6. Πεπιλημένον, expression empruntée à Anaximandre.