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TANNERY. — concept de l’infini

phénomènes purement passagers ? Ou bien voyait-il dans les éclipses une preuve de la possibilité de leur extinction ?

Il admet que, en poursuivant leur mouvement, les astres arrivent au-dessus d’espaces inhabités (mers, déserts) ; là, leur marche serait vaine (κενεμβατοῦντα) ; alors ils s’éteignent[1]. D’autres plus loin peuvent se rallumer et éclairer d’autres jours et d’autres nuits pour les habitants d’autres contrées de la terre. Il y a, dans ces hypothèses fantaisistes, un singulier emploi du principe de finalité, sur lequel l’attention n’a guère été appelée jusqu’à présent.

Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, la terre s’étendant indéfiniment, les mêmes phénomènes doivent se reproduire ; il y a donc une infinité de soleils différents éclairant une infinité de terres habitées, toutes comprises dans un même univers.

Si d’ailleurs cet univers est éternel, les changements particuliers ne sont pas niés ; au contraire. Ainsi l’eau et la terre qui forment les contrées que nous habitons ont dû être mélangées autrefois, puis séparées par l’action de l’air et du feu solaire[2]. Les fossiles marins que l’on rencontre sur la terre ferme sont la preuve de cette révolution partielle[3].

Comme un jour notre soleil doit s’éteindre, la mer, qui ronge peu à peu la terre, finira par triompher, et le mélange primitif se reformera.

Dans cette partie de l’univers que nous habitons, l’humanité est donc née, comme elle est condamnée à disparaître ; mais comment est-elle née, nous ne savons pas si Xénophane a traité ce sujet. Deux de ses vers indiquent seulement qu’il considère les êtres vivants comme formés de terre et d’eau[4].

Tel est l’ensemble des opinions de Xénophane dont l’authenticité n’est pas suspectée. Comme valeur scientifique, elles seraient absolument insignifiantes, sans les quelques observations paléontologiques que le poète errant a pu recueillir lui-même, sans le succès relatif de son acharnement à bannir les divinités populaires des phénomènes naturels.

Ces opinions témoignent d’ailleurs de plus de fantaisie que de véritable invention ; la croyance qui en forme peut-être le trait le plus saillant, que les feux du soleil se nourrissent des vapeurs qu’ils font

  1. Plutarch., Plac. phil., II, 24.
  2. Plut., Plac. phil, III, 9. — Stob., Ecl., I, 31. La prépondérance du soleil dans les phénomènes météorologiques est décrite. Il faut évidemment y lire ἀρχικῆς αἰτίας au lieu de ἀρκτικῆς αἰτίας, leçon conservée par Diels (Doxographi græci, 371, p. 10).
  3. Hippolyt. Philosoph., 14.
  4. Xenophan. fr. , 9, 10.