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monter de la surface de la terre, cette croyance eut dans l’antiquité d’autres et nombreux sectateurs. Mais il n’y a pas à en attribuer l’origine à Xénophane ; elle se retrouve en fait dans le système d’Anaximandre et doit avoir été professée par Thalès. D’ailleurs elle était toute naturelle à une époque où l’on supposait que notre atmosphère s’étendait jusqu’aux astres.

En portant ce jugement sur le poète de Colophon en tant que physicien, je ne cherche nullement à le rabaisser comme penseur. Mais il est bien clair qu’autant sa polémique contre le polythéisme et sa proclamation d’un Dieu universel ont exercé d’influence sur le développement théologique de la philosophie, autant au contraire ses opinions physiques ont trouvé peu d’accueil et sont restées sans action sur la marche de la science. Leur incohérence, d’autant plus grande qu’elles n’étaient probablement point réunies en corps de doctrine, d’autre part, l’évidente absurdité de quelques-unes d’entre elles les ont fait assez vite négliger pour que, dès le temps d’Aristote et de Théophraste, on ne cherchât plus à s’en rendre un compte exact. Ainsi seulement peut s’expliquer la divergence relative à son opinion sur la limitation ou l’infinitude du monde, car il est clair, d’après sa façon de le concevoir, qu’il ne pouvait nullement le déclarer sphérique et limité.

Mais il est certain en même temps que, s’il regardait l’univers comme illimité, il n’a point employé le concept de l’infini pour nier la possibilité de la révolution générale. Cet emploi du concept eût sans doute été relevé pour Aristote, et il eût tranché toute difficulté sur le sens que Xénophane attribuait au terme ἄπειρον et qu’on pouvait, avec quelque apparence de raison, ne regarder que comme parement métaphorique.

On peut donc conclure que Xénophane ne possédait pas en réalité le concept de l’infini, et que si sa négation de la révolution de l’univers a dérivé de son opinion sur l’infinitude, seul motif au reste que nous puissions deviner, ç’a été non pas par un raisonnement explicite, mais par ce sentiment à moitié inconscient qui fait si souvent la logique des poètes et des femmes.

V

une erreur de théophraste

Il nous reste à expliquer avec plus de précision comment se sont produites les méprises de l’antiquité sur l’opinion réelle de Xéno-