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TANNERY. — concept de l’infini

phane dans cette question et à discuter les témoignages qui s’y rapportent.

Le plus ancien est celui d’Aristote (Metaph., I, 5, p. 986, B, 18).

« Parménide semble avoir parlé de l’Un selon la raison, Mélissus suivant la matière ; aussi l’un l’a dit limité, l’autre infini. Quant à Xénophane, qui a posé l’unité (ἑνίσας) avant eux {car on dit que Parménide fut son disciple), il ne s’est en rien expliqué clairement (οὐθὲν δισαφήνισεν), et il se semble avoir touché à sa nature ni d’un côté ni de l’autre ; mais seulement, regardant le ciel entier, il dit que l’Un est le Dieu. »

Ainsi Xénophane ne se serait pas prononcé sur la limitation ou l’infinitude de l’univers ; cette opinion, en contradiction avec l’infinitude formellement attribuée par Xénophane (fr.  12) aux racines de la terre par exemple, pouvait avoir sa raison d’être dans le défaut de précision du langage et des raisonnements du poète, ainsi que nous l’avons expliqué. On a pu aussi y être amené par la légende sur les relations entre Parménide et Xénophane, car cette opinion était évidemment nécessaire pour ne pas creuser un abime entre le poète de Colophon et celui d’Elée. En tout cas, on n’est nullement assuré que l’assertion soit d’Aristote même et que son texte n’ait pas été interpolé. Comme le fait remarquer Diels[1], les mots grecs que nous avons reproduits entre parenthèses n’appartiennent nullement à la langue d’Aristote, et rendent par suite le passage très suspect.

Les autres témoignages se trouvent en fait réunis par Simplicius dans son commentaire sur le premier livre de la Physique d’Aristote[2]. D’après Simplicius, Théophraste aurait attribué à Xénophane d’avoir soutenu les antinomies que l’univers n’est : 1o ni limité ni infini ; 2o ni en mouvement ni en repos. Simplicius développe ensuite ces antinomies (avec les démonstrations de l’unité et de l’éternité) dans des termes en concordance parfaite avec ceux du traité pseudo-aristotélique, De Melisso, Xenophane et Gorgia.

Il cite deux vers de Xénophane (fr.  4) affirmant l’immobilité de l’univers, et soutient qu’ils ne sont pas en contradiction avec l’antithèse de la seconde antinomie.

Il mentionne Nicolas de Damas comme ayant dit que l’univers de Xénophane était infini et immobile, Alexandre d’Aphrodisias comme ayant dit que cet univers était limité et sphérique.

  1. Doxographi græci, collegit Hermannus Diels, Berlin, Reimer, 1819, pp. 109, 110.
  2. Simplicii in Aristotelis Physicorum libros quattuor priores, edidit Hermannus Diels, Berlin, Reimer, 1882, pp. 22, 23. — Le texte est déjà reproduit dans les Doxographi, pp. 480, 481.