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LES CONDITIONS DU BONHEUR

ET L’ÉVOLUTION HUMAINE


Le pessimisme est un problème à la mode. On s’en est beaucoup occupé, soit pour le défendre, soit pour le combattre ; mais le sujet n’est pas épuisé et ne le sera peut-être jamais. Les considérations que je présente ici n’ont nullement pour but de résoudre définitivement la question, dont je ne veux examiner que quelques points. La valeur de la vie humaine ne peut en effet s’établir sans des raisonnements fondés sur un nombre incalculable de faits que personne ne connaît peut-être suffisamment encore, que je ne connais pas à coup sûr. S’il est déjà difficile et presque impossible pour chacun de nous de dire à peu près ce que vaut sa vie propre, à plus forte raison la difficultés augmente-t-elle ou l’impossibilité semontre-t-elle mieux quand il s’agit de porter un jugement sur la vie de l’humanité en général et non seulement sur la vie telle qu’elle s’offre à nous actuellement, mais sur la vie que nos descendants pourront avoir un jour.

La première question qui se pose est celle-ci : Qu’est-ce qui donne de la valeur à la vie ? La réponse ici est relativement facile. Ce qui fait la valeur de la vie, d’une manière générale, c’est le bonheur. M. Spencer a très bien établi ce point dans sa Morale évolutionniste, une remarque se présente cependant, et il convient de l’examiner avant de passer outre.

Supposons un homme vertueux à la fois et malheureux, — la chose n’est pas impossible, — sa vie a beaucoup de valeur pour les autres, non à cause de sa vertu prise en elle-même, mais parce que cette vertu contribue au bonheur général de l’humanité ; mais la vie n’a pas de valeur pour lui, puisqu’il n’est pas heureux. Faut-il se placer au point de vue général de la société, au point de vue particulier de l’individu. Selon ce que nous ferons, la valeur de la vie, dans ce cas particulier, nous apparaîtra tout autre. À mon avis, les deux solutions sont légitimes. Au point de vue de la société, la vie de cet individu a de la valeur ; mais, s’il est légitime pour la société de