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PAULHAN. — les conditions du bonheur

longé, les rapports du talent et des maladies nerveuses, la parenté du génie et de la folie, et l’augmentation du nombre des folies, des névropathies, des paralysies générales, des suicides, marchant de pair avec la civilisation ?

Il est donc fort possible que le développement intellectuel de l’homme soit trop considérable, il est possible aussi qu’il se soit mal effectué. Ce qui importerait au point de vue du bonheur, c’est un esprit droit et sain, capable de s’appliquer avec succès aux choses de la vie pratique surtout et point spéculatif — « l’homme qui pense est un animal dépravé, » — ne s’inquiétant pas trop de ce qu’il ne peut savoir et ne se tenant pas toujours sur les limites de ses connaissances, comme la chèvre attachée au piquet qui tend sa corde autant qu’elle peut, ce qui peut le pousser en un gâchis d’idées fausses. C’est presque ainsi qu’on nous représente nos premiers aïeux intellectuels, les Aryas, dont les descendants devaient plus tard aboutir dans l’Orient au brahmanisme et au bouddhisme, et au christianisme dans l’Occident. L’équilibre intellectuel, s’il a existé, ne paraît pas s’être maintenu longtemps. Il semble jusqu’à un certain point apparaître de temps en temps ; en Grèce, au siècle de Périclès ; mais l’équilibre était instable et ne pouvait pas ne pas l’être. Il serait temps de chercher à l’établir, s’il en est temps encore.

Ici, beaucoup de problèmes pratiques se posent. L’instruction du peuple, par exemple, que doit-elle être ? On s’en occupe beaucoup en ce moment, et presque tout le monde s’entend pour exalter ses bienfaits. Il faudrait savoir pourtant si elle est bien réellement un moyen de rendre le peuple plus heureux qu’il ne l’est. En dehors de quelques notions pratiques dont l’utilité immédiate ne peut se contester, on ne voit guère de quelle utilité sera l’instruction. S’il l’on veut donner au peuple une instruction qui le rende capable de s’occuper de politique en connaissance de cause, on n’y arrivera pas ; le temps manquera et la bonne volonté. Une instruction politique complète est une chose difficile et longue à acquérir ; même pour les gens qui n’ont pas autre chose à faire. Si l’on veut simplement donner de l’instruction aux ouvriers pour satisfaire leurs besoins intellectuels, on leur imposera d’abord de la peine pour apprendre, car, après avoir travaillé toute une journée, il est plus agréable en général et peut-être plus sain de se reposer, et ils n’en tireront pas grand profit, car, en supposant qu’on réussisse, on ne fera que développer chez eux de nouveaux besoins qu’ils auront de la peine à satisfaire. Si l’on veut leur former surtout l’esprit et leur donner du bon sens, il faut inventer une nouvelle méthode d’enseignement et prendre garde à la bien appliquer, car actuellement on ne s’aperçoit