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pas que le bon sens, la rectitude d’esprit, l’intelligence soient en rapport avec la somme des-connaissances acquises.

III

Si le progrès intellectuel de l’homme ne paraît pas avoir toute la valeur qu’on lui attribue au point de vue du bonheur, il est un autre désavantage de l’évolution qu’il faut mettre en lumière et qui provient de l’évolution morale. Ce nouveau problème se rattache du reste au précédent, la morale ayant une partie intellectuelle et comprenant certaines conceptions que l’homme s’est faites.

Le problème de la morale se pose ainsi : Ne sommes-nous pas actuellement ou ne serons-nous pas obligés d’abandonner les croyances sur lesquelles repose actuellement la morale : Dieu, la liberté, le devoir ? et, ces bases détruites, la vie de l’homme pourra-t-elle rester ce qu’elle est ? M. Guyau, dans son ouvrage sut la Morale anglaise contemporaine, a montré avec beaucoup d’ingéniosité tout ce que le sentiment de l’obligation morale pouvait perdre à être reconnu pour un sentiment d’une valeur subjective, En somme d’après la théorie évolutionniste, nous sommes obligés moralement, parce que nous croyons l’être. N’est-il pas à présumer que, quand nous aurons conscience de ce fait, nous né nous croyons plus obligés, et par suite que nous ne lé serons plus en réalité ? N’est-il pas à craindre dès lors que toute morale ne soit anéantie et la société bouleversée profondément ?

Il en serait peut-être ainsi si la morale n’avait pour soutien que l’idée du devoir, — encore faut-il remarquer que cette idée aurait toujours, pour des causes que je n’ai point à indiquer ici, une certaine influence ; — mais la morale a encore pour bases l’intérêt personnel de chacun de nous et ensuite nos sentiments altruistes, enfin nos sentiments désintéressés, l’amour du bien, de la justice, de l’ordre. Cependant il faut reconnaître que la substitution d’une morale nouvelle à la morale ancienne aura de la peine à se faire sans secousses. Ces sentiments altruistes et désintéressés seront-ils assez forts pour réprimer suffisamment les sentiments égoïstes, même avec l’appui des habitudes prises et de la contrainte imposée par l’état social actuel ? Je ne sais si on peut l’affirmer. En tout cas, nos trouvons là de profondes causes de souffrance. Le développement moral de l’homme s’est mal effectué ; homme a été engagé par la religion dans une mauvaise voie, il s’est habitué à la sanction surna-