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ANALYSES. — W. GRAHAM. The Creed of science.

I. I. Au sujet de l’origine du monde, si l’on écarte l’idée anti-rationnelle de la création ex nihilo, il reste la conception d’un développement progressif à laquelle se rattachent de nombreuses hypothèses, depuis celles de Kant et de Laplace jusqu’à celles de Helmholtz et de Thomson. Les doctrines de Darwin et de Hæckel sur l’apparition et le développement de la vie sont de beaucoup supérieures à la conception mosaïque de la création, et l’évolutionisme oblige la philosophie et la théologie à remettre leurs principes mêmes en question. — C’est au hasard, à une chance heureuse qu’il faut attribuer la naissance et les progrès des êtres vivants, de l’intelligence et du génie ; ainsi l’entend la science, toujours optimiste, malgré le mal qu’elle constate. Mais alors le dieu de Darwin ou l’Esprit de Hæckel ne sont plus que des inventions inutiles ou contradictoires. En somme, il manque à la doctrine de l’évolution l’idée essentielle d’une intelligence prévoyante, plus simplement d’un dessein, Purpose, en faveur duquel tant de grands esprits se sont prononcés. Que l’on abandonne la notion vieillie d’un Dieu créateur et providence ; mais il faut admettre une idée directrice préconçue, Spencer lui-même s’y rallierait volontiers ; et la difficulté se réduit à une question de mots.

Mais, si le développement physique est explicable par la sélection et l’hérédité, il n’en est plus ainsi du développement moral ; et ceci nous conduit à la question importante et « centrale » de la nature de l’homme. Qu’est-il ? que doit-il ? que peut-il ? Là encore, il faut renoncer à la théologie, à la métaphysique et à la poésie, et consulter la science, qui nous présente l’homme comme un animal intelligent, social, moral et perfectible. Les progrès incessants de l’humanité, dit M. Graham, ne Sont pas dus aux hasards de la sélection, mais à l’action dominante des grands hommes, aussi souvent martyrs que vainqueurs dans la lutte pour la vie, mais véritables bienfaiteurs et éducateurs du genre humain. Leurs inventions ou créations, telles que le langage et les lois des sociétés, sont comme des révélations venues on ne sait d’où, de l’Inconnu, du Dessein de l’univers, de Dieu. L’animalité et l’égoïsme sont indéracinables dans l’homme, mais de plus en plus atténués au profit de la dignité et de la fraternité ; et, si le bonheur parfait est chimérique, quelle que soit l’avarice de la nature à notre égard, le pessimisme a tort de condamner radicalement la vie sensible et consciente.

L’éthique a été établie par Hobbes et les penseurs anglais qui l’ont suivi sur des bases expérimentales ; mais la science de l’homme a manqué à tous les systèmes du passé, et l’œuvre est à refaire, Il y a dans l’homme, qui reste, par origine et par nature, un animal, une dualité, une antinomie, un conflit éternel entre l’esprit et le corps. Il est en même temps égoïste et sociable, plus égoïste toutefois, puisque dans le sacrifice même il cherche une satisfaction personnelle, La lutte exaspère cet égoïsme et rendrait la société impossible si elle n’était nécessaire ; d’autre part, le progrès élargit et fortifie cet instinct sympathique dont l’origine reste myérieuse. L’amour de l’humanité tout entière