Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
655
ANALYSES. — W. GRAHAM. The Creed of science.

donné à un autre que nous. Mystique ou non, l’idée est juste, et il nous suffit qu’une seconde fois le moi puisse apparaître, qu’il puisse renaître comme il est né, et pour cela le souvenir n’est pas nécessaire. C’est la foi des plus grands philosophes, poètes et fondateurs de religions ; c’est le sens profond du vers célèbre : « To die, to sleep… »

Cette autre existence dont Kant a démontré la nécessité est possible, désirable et certaine. Quelle sera-t-elle ? Mystère. Mais pourquoi vouloir la déterminer d’après celles que nous connaissons ? Conscient et Inconscient n’épuisent pas tous les modes d’existence : ce sont des cadres trop étroits, ou plutôt il peut y avoir dans ce que nous appelons l’inconscient une infinité de modes d’existence inférieurs ou supérieurs au nôtre, et dont nous sommes incapables de soupçonner la nature. Kant lui-même est allé trop loin, et nous ne savons pas si cette existence dépend de la moralité. Outre que le mérite et le démérite sont à peu près exactement payés sur cette terre, la moralité, si haute qu’elle soit, n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus haut dans l’univers. Tout au plus pouvons-nous dire qu’il est prudent de bien agir pour affronter cet inconnu qui ne peut être que juste et raisonnable. C’est ainsi que l’entendent tous ceux qui ont le sens de l’esprit infini, et, réduite à ces termes, la croyance à l’immortalité est irréprochable, même aux yeux de la science.

II. li s’agit, dans le second livre, de l’évangile de la science et de sa croyance sociale, et tout d’abord M. Graham discute le pessimisme et le positivisme. Il est assez étrange de voir renaître l’idée prêchée jadis par Bouddha dans un siècle comme le nôtre, « dans un siècle de télégraphe et de suffrage universel. » Ce fait témoigne-t-il d’un mal radical ? Est-ce notre constitution sociale qui est condamnée, ou ne faut-il voir là qu’une fantaisie séduisante et chimérique ? Le pessimisme était explicable dans l’Inde ; malgré les apparences, il l’est encore dans l’Occident de nos jours. Le scepticisme désespérant, la lutte pour la vie de plus en plus intense et douloureuse, bien d’autres causes encore se présentent. Et pourtant il est invraisemblable que le mal se généralise. La vie est bonne après tout : on en était satisfait avant nous, et elle est meilleure aujourd’hui ; il y a des moments de pleine et pure jouissance dans les émotions du cœur, dans les ravissements de l’art ou de la science, et cela suffit à prouver que la conscience n’est pas nécessairement et essentiellement un mal. Pour chaque âge il y a une bonne manière de comprendre la vie. Le pessimisme n’est pas le véritable évangile, et il ne sert de rien de le prêcher ; nous sommes trop souvent les auteurs de nos maux, et il faut en demander le remède à la science positive.

Il faut voir que les faits et leurs lois sont seuls connaissables et que toute métaphysique transcendante est une fiction. C’est ce qu’a proclamé bruyamment A. Conte ; il n’est que le dernier venu, et le positivisme est né bien avant lui, avec Bacon, en Angleterre, où il a inspiré de grands penseurs, Hobbes, Locke, Hume, etc. Le positivisme est une méthode : Darwin, Spencer, Hæckel, les matérialistes même peuvent la