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ANALYSES. — W. GRAHAM. The Creed of science.

tifs. Quand il reproche au matérialisme de laisser inexpliqué le passage ou le progrès de l’inférieur au supérieur, il touche au point faible de son adversaire ; on peut admettre encore les critiques qu’il lui adresse en se fondant sur l’ordre du monde, bien qu’il use lui-même trop largement et sans le justifier du principe de finalité ; enfin il est séduisant de concevoir avec lui la substance comme débordant infiniment tous les modes que nous en connaissons. Mais est-il bien démontré que la matière se résolve en poussière de phénomènes ? Le phénoménisme d’autre part est-il nécessairement matérialiste ? La science a-t-elle prouvé que la force soit plutôt esprit que matière ? Pourquoi accabler de reproches ou même d’invectives le matérialisme tout seul ? N’y aurait-il pas là, inconsciemment sans doute, un procès de tendance au nom de la morale que l’on croit compromise ?

Il faudrait faire des observations analogues à propos de la réfutation de l’athéisme, et ceci nous conduit à la critique essentielle que nous adresserons à M. Graham. Il nous dit plus d’une fois que la métaphysique est illusoire, et pourtant (nous ne saurions d’ailleurs nous en plaindre) il nous conduit souvent en pleine métaphysique. Il promet de s’en tenir à la science ou tout au moins aux croyances qui en sont comme une fleur naturelle ; et c’est cette promesse qui nous attire. Mais c’est aussi là qu’est l’écueil du livre. Où finit la science et où commence la croyance ? La foi optimiste qui inspire l’auteur est-elle encore scientifique ? l’est-elle plus que la foi contraire ? Ou bien n’y a-t-il pas un point précis où nous sortons de la science pour entrer dans la métaphysique ? Sans doute il faut réagir, et très vivement, contre la prétention du matérialisme d’accaparer la science à son profit ; M. Graham le fait avec beaucoup d’autorité ; mais ne mérite-t-il pas le même reproche à son tour, bien qu’il y mette plus de discrétion ? La science en définitive reste étrangère à ces débats ; elle est à sa place quand il s’agit d’éthologie, de morale pratique, de sociologie ; mais, s’il y a bien souvent ici des hypothèses, des croyances plutôt que des conclusions mathématiques, ce n’est pas que l’objet soit, comme la liberté, l’âme ou Dieu hors de la portée de la science ; c’est que ses lois si complexes et si délicates ne sont pas encore nettement déterminées. Il n’en est plus de même quand on parle de l’absolu ; la science n’a plus à se prononcer, même pour patronner une croyance au détriment d’une autre.

Sans doute il peut y avoir et il y a en un instant donné une direction d’esprit, un ensemble de croyances communes à un groupe de savants ou à l’élite des savants, et ce sont les croyances des docteurs d’aujourd’hui que M. Graham a voulu exposer et critiquer. Mais il importe de dégager la science de ces théories, dont elle peut et doit accepter le concours provisoire, mais qu’elle ne saurait consacrer ; et l’auteur nous semble y avoir manqué plus d’une fois. En réalité, ce sont les croyances de la raison qu’il a cherché à fixer, non celle de la science, qui n’en saurait avoir, à parler strictement. Ne peut-on pas, en effet, en prenant