Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
665
ANALYSES. — M. LAZARUS. Das Leben der Seele.

mais, par sa méthode, l’auteur s’éloigne des sentiers battus. Et pourtant, on ne saurait le nier, est-il des études psychologiques à la fois plus délicates, plus vraies et plus profondes que celles qu’il nous offre dans ce volume ? C’est bien, comme le dit le titre, une suite de monographies sur certains phénomènes de l’âme et leurs lois. Voici au reste les quatre questions que M. Lazarus s’est proposé d’élucider dans ce troisième volume : 1o Qu’est-ce que le tact ? (pp. 4-65) ; 2o le mélange (Vermischung) et la coopération des beaux-arts (69-248) ; 3o l’amitié (251-348) ; 4o idées sur l’origine des mœurs (351-420). Comme nous pensons que la disposition de ces quatre monographies, dans l’ordre où elles se suivent, est purement accidentelle, nous commencerons par traiter des trois qui ont le moins d’étendue et qui ont ce lien commun d’étudier des questions morales, réservant pour la fin les beaux-arts, sur lesquels l’auteur a insisté plus longuement[1].

I. Qu’est-ce que le tact ? Pour M. Lazarus, il y a trois choses à étudier dans le tact : 1o il faut considérer toutes les circonstances, les rapporte qui concernent les personnes avec lesquelles on se trouve, Or cela produit une masse prodigieuse de représentations, pour peu que l’on soit en nombreuse société ; 2o existe-t-il des règles, des idées morales et esthétiques, qui nous guident ici ; 3o il examine enfin le choix et l’application des moyens, propres à réaliser l’action et la conduite reconnues et exigées comme règle, par les deux éléments précédents.

Cette question, comme les autres, ne doit servir qu’à mettre en relief le procédé psychologique de notre philosophe, car pour lui, la psychologie est une science naturelle. Pour l’ancienne philosophie se poser cette question, ce serait demander si le tact est quelque force particulière de l’esprit humain, et quelle est sa nature, ce qui ne mène à aucun résultat. Pour connaître et expliquer quelque phénomène, il faut rechercher dans l’esprit les processus qui ont lieu à propos de lui. Après avoir dit ce que le tact est pour la plupart des hommes (une sorte de démon socratique, un don particulier, inné, dont il n’y a pas de règles, qu’on ne peut donc enseigner, l’auteur examine le genre d’attention qu’il exige et constate que nous n’avons pas une claire conscience des rapports sur lesquels elle porte. M. Lazarus insiste longuement sur cette idée que les processus les plus importants sont tout à fait involontaires et que l’âme de l’homme serait un affreux chaos, si l’ordre devait y être établi par son action intentionnelle. « Les cent mille représentations qu’il reçoit en peu de jours dans sa conscience se disposent d’elles-mêmes les unes à côté des autres ; » il en est comme des semences que nous confions à la terre et qui ne croissent en réalité que par les forces de la nature ; et comme à chaque moment nous ne pouvons penser clairement et avec conscience qu’une petite série de notions ; plus nous aurons de représen-

  1. Pour les deux premiers volumes, voir la Revue, tome II, p. 603, et tome V, p. 565.