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ANALYSES. — M. LAZARUS. Das Leben der Seele.

dans nos Morales quand, dans la Morale à Nicomaque, elle remplit deux livres et demi sur dix.

« Et en effet n’est-ce pas une contradiction de parler de devoirs qui dépendent, non de conditions exigées moralement, mais données psychologiquement. » Ce n’est plus non plus aujourd’hui une vertu, mais un bien moral. Comme phénomène moral, c’est la forme parfaite de l’amour des hommes ; or ce n’était pas là pour les anciens un devoir moral.

L’homme sort de l’état primitif d’un isolement égoïste par la création d’éléments idéalistes auxquels nous aurons à revenir dans la dissertation suivante, La naissance des idées de droit, de mœurs, de religion, etc., fait des hommes une société. L’unité naît par les buts idéalistes poursuivis en commun. Différentes de cela sont toutes les espèces d’attraction et de réunion issues uniquement de la manière d’être personnelle et des relations personnelles (parenté, mariage). Tout cela n’est pas l’objet d’une loi morale générale, inconditionnée.

Comparées avec ces liens personnels et naturels, les liaisons résultant des idées générales (par exemple, de droit, de l’État) sont des rapports lâches, faibles. Ceux qui sont pleins de sentiments intimes de parenté, de sentiments intimes d’amitié, sont enclins à une disposition idéale de toute leur personne. Ces liaisons aident en tout cas à triompher de l’égoïsme naturel. Déjà les anciens (Aristote et Cicéron) avaient vu cette force éducatrice du sentiment de l’amitié.

Pour apprendre à connaître mieux son essence, Lazarus la compare avec l’amour et le mariage. Les liens du sang ou la parenté reposent sur la nature et la destinée, ceux de l’amitié sur la moralité et la liberté ; « l’amitié est une liaison de deux hommes par suite d’une libre ( ?) inclination réciproque ; je ne dis point par libre choix ; car il y a (sans doute) là pour fondement une nécessité psychologique naturelle, Les âmes s’attirent par une sorte de mouvement réflexe, en vertu d’une loi. Mais le lien ici se fonde uniquement sur la nature personnelle, la particularité individuelle. » Dans l’amour et le mariage, il est vrai, on se saisit aussi librement de la personnalité ; mais, avec la possession commune des enfants, la liberté personnelle de l’amour se change en la nécessité du mariage ; si l’amitié est entièrement conditionnée par l’individualité de la personne, le caractère du peuple, son degré de culture amènent bien des différences. :

Pour connaître complètement l’essence de l’amitié, on aurait à la poursuivre dans l’histoire de l’humanité, Il rendrait un grand service à ses semblables, celui qui en écrirait une fois la véritable histoire (peut-être comparativement avec la parenté, l’amour et le mariage) au point de vue de l’ethnographie et de la civilisation, L’auteur étudie ensuite ce qu’on peut appeler l’amitié du sang, ayant pour but une alliance offensive et défensive, surtout en vue d’accomplir la vengeance, en lieu et place des parents naturels.

Nul philosophe, nul poète ne peut imaginer une forme ingénieuse