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dont l’âme d’un peuple n’ait déjà fait l’expression symbolique d’un fait intérieur.

Ainsi les Slaves du sud contractent l’amitié comme le mariage par un acte public et la font bénir par un prêtre ; elle passe presque pour plus inviolable que le mariage. Les formes, donnant une expression visible à l’alliance, sont à peu près les mêmes partout : l’échange des armes, des vêtements ; ailleurs, on échange les noms. Dans toute l’antiquité, ce n’est pas la simple idée de réunion qui constitue l’amitié ; il s’y joint toujours une sorte de conduite commune de la vie ; non seulement la personne, mais ce qu’elle vaut (ihr Gehalt), son développement, Son activité entrent dans l’alliance ; on poursuit ensemble un but commun ; il ne s’agit plus du bien individuel, mais du bien général (légion thébaine, disciples de Socrate, les Pythagoriciens).

Ce n’est pas seulement dans les associations (Genossenschaften) nombreuses, mais dans l’amitié à deux aussi, qu’elle a chez les anciens un caractère tout autre que chez nous. D’abord, elle est une coutume universelle, à laquelle on ne peut se soustraire sans renoncer à ce que la vie a de plus précieux et de plus noble ; avoir un ami, c’est là une question de nécessité morale,

« Pour l’observation psychologique, les couples d’amis, dont la poésie[1] et l’histoire ont perpétué le souvenir, ont un intérêt particulier, car ils nous permettent de pénétrer l’individualité, ici des sources, là des résultats de ces liaisons, » C’est pour cela que l’auteur commence une étude comparative des plus célèbres. Nous voyons passer tour à tour sous nos yeux Achille et Patrocle, qu’une même tombe réunit, Oreste et Pylade, Scipion et Lélius, Montaigne et La Boétie, Beaumont et Fletcher, Métastase et le chanteur Farinelli, Schiller et Kœrner, Schiller et Gœthe, Luther et Mélanchthon. Souvent les deux caractères ou les deux génies offrent le plus fort contraste, comme dans ces deux derniers couples, Toujours une action salutaire, fécondante de l’un sur l’autre, en est la vraie marque. (P. 310.) M. Lazarus indique la comparaison à faire entre les deux, au point de vue des affinités et des différences, comme une étude ; du plus haut intérêt. Montaigne, qu’il aime tant, dont la chimie psychologique, comme il dit (p. 298.) a plus d’une ressemblance avec la sienne, lui fournit ses plus belles citations ; joignons-y d’autres de Luther, d’Emerson, de Mendelssohn et de Herbart ; tout cela fait de cette étude d’un philosophe, il a beau s’en défendre, comme un magnifique hymne en l’honneur de l’amitié ou des amis, dont il dit, en finissant : « Un reflet de l’infini luit en eux et hors d’eux. »

Idées sur l’origine des mœurs (zum Ursprung der Sitten). — Le titre seul indique déjà que l’auteur n’entend pas traiter la question d’une manière complète. C’est une contribution sur cette origine, sur l’époque

  1. Des phénomènes psychiques originaux enrichissent presque autant notre connaissance de l’âme humaine, qu’ils nous viennent de l’histoire ou de la poésie.