Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
681
ANALYSES. — FALKENBERG. Philosophie de Nicolas de Cusa.

I. Sur Dieu et le monde, la nature divine et le rapport de Dieu avec l’univers, Nicolas de Cusa se montre, à la fois, néoplatonicien, disciple des alexandrins et théologien catholique, Mais, d’autre part, il n’est pas moins penseur original et le précurseur de nos modernes métaphysiciens. Le point le plus saillant est le principe de l’opposition des contraires. Déjà sans doute on le trouve chez les anciens, dans Plotin ; mais on sait qu’il est devenu la base de tout le système de Hegel.

Comment le philosophe de la Renaissance conçoit-il ce principe et en fait-il l’application à Dieu et au monde ? Nous ne pouvons que l’indiquer, sans entrer dans aucune explication. L’absolu d’où tout se déduit c’est l’unité infinie, qui comprend en soi le fini tout entier et se développe en lui. Le monde est le dieu fini. Dieu et le monde sont en partie identiques. Omnis creatura quasi infinita aut Deus creatus, homo Deus humanus. N’est-ce pas là le panthéisme ? En quoi donc le monde diffère-t-il de Dieu ? Le cardinal s’efforce de le démontrer. Ce qui le distingue, c’est la relativité, la limitation, Dans le monde domine le comparatif. Dieu est au contraire l’absolu au-dessus de toute comparaison. Il est à la fois le maximum et le minimum, le superlatif absolu. Relatif, ou fini, veut dire aussi accidentel et dépendant ; les choses ne sont pas de soi, Dieu est l’absolue nécessité, l’aséité. Le monde est le concret ; Dieu est l’abstrait le plus élevé, à la fois l’universel et le singulier ; en lui pas de mélange, rien de matériel ; il est l’acte pur, la prédominance du possible sur le réel, etc.

L’infinité est l’unité, qui doit être connue en même temps comme trinité, c’est-à-dire développement en pluralité et retour à l’unité. Le fini est diversité (altérité), différence, séparation, temporalité, changement, opposition. Dieu est l’unité, l’égalité, unitas absoluta cui nihil opponitur, unité et trinité. Cette trinité, Pythagore ne l’avait-il pas déjà reconnue et proclamée ?

Tout cela se retrouve en effet dans les Néoplatoniciens et les Alexandrins. Mais voici le point le plus important : Dieu, l’éternité et la permanence, la complication de tout et en même temps aussi, la coïncidence des contraires. Ex divina complicatione omnia absque differentia coïncidunt. Dieu est l’affirmation et la négation. Dans l’éternité, toute succession temporelle coïncide avec l’unité, le passé, le futur avec le présent. Au point de vue de l’absolu et du relatif, de l’enveloppement et du développement, Dieu est l’opposé du monde.

En ce sens, Dieu n’est aucune des choses finies ; mais il est également chaque chose ; il est aussi et il n’est pas, non magis est quam est, sed ita est hoc quod est omnia. Dans tous ces rapports, un seul, comme le remarque notre auteur, maintient l’opposition, celui de la dépendance. Dieu est absolu et indépendant, le monde est dépendant. Celui-ci n’est pas l’opposé, mais l’affaiblissement, le défaut, l’imperfection ; et d’un autre côté cette imperfection elle-même comporte des degrés de perfection qui rapprochent le monde de son principe, s’ils ne l’égalent à lui.