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contemplation, ainsi le sage aristotélique use de sa propre raison plutôt pour en jouir que pour la servir ; il recherche la vérité pour se rendre heureux, plus encore que pour l’appliquer et en assurer le triomphe dans a société civile. On peut voir dans cette doctrine un signe des temps où elle parut : c’était une époque de déchéance pour l’activité héroïque et intellectuelle, où la Grèce, affaiblie par ses discordes, devenue l’esclave de puissants conquérants, semblait ne plus ambitionner d’autre gloire ni d’autre félicité que celle de l’instruction et de la science. La conception morale d’Aristote répondait : d’une manière plus pratique aux besoins nouveaux que celle de Platon, C’était là un corps de doctrine déterminé, complet, scientifique. Ces caractères désignaient le grand monument de philosophie morale aux maîtres et aux commentateurs modernes comme objet d’enseignement à rattacher aux autres parties de l’encyclopédie aristotélique. Cette doctrine, qui faisait sa part aux vertus mondaines et à la vie spéculative, devait satisfaire aux exigences tout à la fois mystiques et temporelles de l’Église chrétienne, qui, en 125, quand l’Éthique fut introduite dans l’Université de Paris, était si richement pourvue de monastères et dotée d’abbayes et de bénéfices. Il paraissait que si l’institution chrétienne et l’Éthique aristotélique n’étaient pas faites l’une pour l’autre, elles pouvaient pour le moins très bien aller ensemble. On sait l’art déployé par saint Thomas pour expliquer l’Éthique et la fondre dans la doctrine des Pères. Le mélange de ces deux éléments, le naturel et le surnaturel, fut respecté par les commentateurs de l’école ; ils tendirent à se séparer dans les écrits des laïques, et l’interprétation, devenue purement philosophique chez les plus grands penseurs de la Renaissance, ne conserva qu’un souvenir de ses rapports avec la théologie La distinction des deux béatitudes, l’une composée des plaisirs de la vie pratique, et l’autre des délices de la contemplation, l’une bonne, l’autre très bonne, l’une en rapport avec les fins humaines, l’autre avec la grâce, cette distinction se trouve dans les écrits d’Egidio Colonna, de Brunetto Latini, de Dante Alighieri, de Donato Acciajoli, etc. Enfin l’influence de la doctrine aristotélique est manifeste en Italie à toutes les époques de son histoire moderne, au milieu de toutes ses vicissitudes politiques et morales.

T. Ronconi : De la philosophie baconienne. — On cherche à mettre dans l’œuvre de Bacon une unité organique, une cohérence, une harmonie qui n’apparaissent pas extérieurement dans ses divers essais. Bacon a enfermé le noyau de ses doctrines dans l’Instauratio magna, le De dignitate, etc., et le Novum organum. L’auteur de l’article fait un examen rapide de ces œuvres fondamentales. Il montre dans la division de la philosophie en spéculative et opérative (6e partie de l’Instauratio) le but de toute la philosophie baconienne et sa plus réelle chimère. Comme l’a fait observer Ellis, tandis que la philosophie opérative aurait dû être dans l’intention du penseur corrélative et conséquente de la spéculative, plutôt que d’être son but unique, elle paraît détachée de cette dernière et sans aucune valeur intrinsèque. Le fameux savoir c’est pouvoir, qui