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choisi, il agit à la manière de ce que les métaphysiciens appellent une cause finale : il entraîne le choix des moyens propres à l’atteindre. L’adaptation est donc un résultat du mécanisme de l’intelligence ; nous n’avons pas à nous y arrêter.

Mais ce qui nous intéresse, c’est ce choix, cette préférence affirmée, après une comparaison plus ou moins longue des motifs. C’est lui qui représente la réaction individuelle, distincte des réactions spécifiques, et, nous le verrons, tantôt inférieure, tantôt supérieure à elles.

Qu’est-ce que ce choix ? Nous n’en pouvons rien dire, sinon qu’il est une affirmation pratique, un jugement qui s’exécute. Qu’on le remarque bien : du côté physiologique et extérieur, rien ne distingue un mouvement volontaire d’un mouvement involontaire, et le mécanisme est le même, que je cligne des yeux par action réflexe ou à dessein pour avertir un compère[1]. Du côté psychologique et intérieur, rien ne distingue le jugement au sens logique du mot, c’est à-dire une affirmation théorique, de la volition, sinon que celle-ci se traduit par un acte et qu’elle est ainsi un jugement mis à exécution.

Mais pourquoi ce choix ? pourquoi telle affirmation pratique plutôt qu’une autre ? Nous n’en pouvons rien dire, sinon qu’elle est un effet du caractère, c’est-à-dire de ce qui constitue la marque propre de l’individu au sens psychologique et le différencie de tous les autres individus de son espèce.

Le caractère ou — pour employer un terme plus général — la personne, le moi, qui est pour nous une cause, est-il à son tour un effet ? À n’en pas douter ; mais nous n’avons pas à nous occuper ici des causes qui le produisent. La science du caractère, que Stuart Mill réclamait, il y a plus de quarante ans, sous le nom d’éthologie, n’est pas faite, ni, à ce qu’il semble, près de l’être. Le fût-elle, nous n’aurions qu’à en accepter les résultats, sans tenter une excursion sur son domaine ; car remonter toujours d’effets en causes, par une progression sans fin, ce serait suivre les errements de la métaphysigue. Encore une fois, pour le sujet qui nous occupe, le caractère est une donnée ultime, une vraie cause, bien que, pour un autre ordre de recherches, il soit en effet. Remarquons, en passant et à titre de simple suggestion, que le caractère — c’est-à-dire le moi en tant

  1. On distingue en physiologie les muscles volontaires des muscles involontaires, mais en faisant remarquer que cette distinction n’a rien d’absolu. Il y a des personnes, qui peuvent à volonté arrêter les mouvements de leur cœur, comme le physiologiste E.-F. Weber ; d’autres peuvent produire une contraction de l’iris, etc. Un mouvement est volontaire, lorsque, à la suite d’essais heureux et répétés, il est lié à un état de conscience et sous son commandement.