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ANALYSES. — LIARD. Descartes.

revenir à l’ordre habituel que M. Liard a cru devoir modifier : la méthode, la métaphysique, la science. Voilà comment se succèdent et s’enchaînent les parties du système.

La théorie de la certitude est étroitement unie à la précédente, et elle est, suivant l’expression de M. Liard, le point culminant de la métaphysique cartésienne. La science, on vient de le voir, est faite : de déduction en déduction le philosophe s’est rendu compte de tous les phénomènes de l’univers, Mais, précisément parce que cette science est déductive, il reste à se demander si elle correspond exactement à une réalité extérieure, si « l’ordre de nos pensées reproduit celui des choses ». Le monde ainsi conçu pourrait n’être qu’un monde possible, il faut s’assurer qu’il est le monde réel.

On sait comment Descartes résout la difficulté. Le doute méthodique met en suspicion toutes les vérités connues jusqu’ici, y compris cette science qui vient d’être achevée ; jamais philosophe dogmatique n’a fait plus largement au scepticisme sa part. Mais le Cogito ergo sum est une première vérité indéniable. Le Cogito, dit M. Liard, n’est pas obtenu par syllogisme ; on aurait voulu le voir insister d’avantage sur ce point, et discuter les textes où Descartes semble dire le contraire, d’autant plus que le philosophe a été souvent accusé de contradiction, et tout récemment encore dans une intéressante étude de M. Pillon[1], où sont invoquées des raisons qui ne sont pas sans valeur. Ce n’est pas non plus par une analyse de la pensée que cette première vérité est connue, mais par une simple inspection de l’esprit ; elle est fondée sur un fait de conscience ; l’existence est donnée ici en même temp que l’essence. L’idée de Dieu ou de l’être parfait apparaît ensuite ; en elle l’existence est contenue nécessairement dans l’essence ; voilà une seconde vérité fondée sur une nécessité logique. Dès lors, la garantie, la caution qui est réclamée pour la science est trouvée. Si l’on peut concevoir à la rigueur que nos idées claires et distinctes ne correspondent à rien de réel, une telle supposition devient inadmissible quand on tient compte de la grande disposition naturelle que nous avons à les croire vraies et quand on sait que l’Etre parfait n’a pu vouloir nous tromper. L’interdit dans lequel Descartes avait un moment laissé la science est levé ; le philosophe a exorcisé le fantôme du scepticisme. Désormais, sûr de lui-même, il peut poursuivre le cours de ses recherches et laisser de côté la métaphysique elle-même ; il n’a eu recours à elle que pour se donner cette sûreté et s’assurer cette caution.

La véracité divine est ainsi en dernière analyse la garantie de l’existence réelle du monde des corps. Descartes n’a pas commis la pétition de principe qu’on lui a tant de fois reprochée en invoquant la véracité divine comme garantie de l’évidence après avoir fondé sur l’évidence sa démonstration de l’existence de Dieu. En effet, la caution divine porte uniquement sur l’existence et non sur l’essence des choses. L’évi-

  1. Voy. Critique philosophique, n° du 16 juillet 1881, Xe année, t. I.