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moment où la musique instrumentale descend à l’imitation fidèle de la nature, du coup elle cesse d’être musique. Tel est contre la musique imitative le seul argument décisif : toutes les colères, toutes les indignations, toutes les phrases éloquentes qui ne s’appuient pas sur cet argument, sont impuissantes et inutiles.

On allègue toutefois que la musique instrumentale peut se permettre incidemment quelque imitation de la nature, pourvu que le compositeur n’use de cette licence que rarement et avec discrétion. Autorisons-le, — dit-on, — à reproduire de temps à autre, au moyen de l’orchestre, le mugissement des vagues, le fracas du tonnerre, le sifflement des vents, le murmure du ruisseau. Soit ; donnons-lui cette autorisation ; mais n’ayons pas d’illusion ; sachons au juste quel pouvoir suppose notre tolérance et à quoi se borne ce pouvoir.

À l’égard du chant où du cri des animaux, ce pouvoir est presque nul. En effet, ce chant ou ce cri n’étant qu’un bruit, il n’entrera dans la composition instrumentale qu’à la condition d’être au préalable transformé. Mais, transformé, il sera méconnaissable ; toute ressemblance avec le modèle disparaîtra de la copie. Il n’y aura plus trace d’imitation. En conséquence, le compositeur renoncera à ce genre d’imitation de la nature ; et c’est à quoi il se soumet généralement. Ou bien il reproduira le chant de la caille, de la tourterelle, du coucou, comme Beethoven dans la Symphonie pastorale, tant bien que mal ; mais, dans ce cas, il aura la sagesse de se borner à un trait rapide de quelques notes. Ce ne sera qu’un accident, une exception passagère, un hors-d’œuvre qui cédera aussitôt la place aux formes régulières de l’art.

Reste l’imitation de la nature physique. Jusqu’où va-t-elle ? Quels sont les rudiments que la musique instrumentale découvre au milieu des bruits de l’air, de la terre, du ciel, des eaux, et quelle façon leur donne-t-elle ?

Cent fois je l’ai cherché pendant de longues heures, tantôt assis sur le rivage de l’Océan, tantôt au pied d’un mât de navire pendant la tempête, tantôt étendu parmi les pins d’Arcachon ou les sapins de la forêt sur la frontière suisse, tantôt tout simplement la nuit dans mon lit, au Croisic, quand les souffles formidables de l’Atlantique ébranlaient tout autour de moi. J’ai trouvé dans les mouvements de la mer des bruits absolument confus et étrangers à la musique par la tonalité ; on n’y pouvait prendre qu’un certain rythme marqué par le retour périodique des grandes lames. Le vent n’a par lui-même aucune sonorité ; il n’en acquiert qu’en frappant sur des corps plus ou moins durs, plus ou moins vibrants. Et les sifflements

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