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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

ou les grondements qui en résultent offrent seulement les apparences musicales que voici : l’intensité variable du bruit, par conséquent le crescendo et le decrescendo, avec une vitesse et une lenteur très inégales ; puis, le chromatisme du bruit qui procède toujours, ou presque toujours, selon une continuité graduée, mais par nuances tellement insensibles qu’aucun intervalle appréciable ne les sépare. Enfin les souffles de l’air arrivent souvent à simuler le timbre et à égaler presque la pureté de son des instruments à cordes ou à vent : par exemple, s’ils passent sur les fils télégraphiques, à travers les cordages tendus des navires, entre les lèvres des fentes de nos portes, par les trous des serrures, à l’orifice supérieur des tuyaux de cheminée. L’eau qui tombe ou retombe tranquillement dans un bassin a aussi parfois des notes timbrées ; mais les torrents, les cascades, les rivières, les ruisseaux ne rendent guère que des murmures, des bruissements confus mêlés de chocs éclatants ou de sourdes secousses. Pour le fracas du tonnerre, c’est en même temps le plus fort de tous les bruits et celui qui diffère le plus d’un son.

Quelle étoffe musicale ces phénomènes offrent-ils au compositeur ? On avouera qu’il n’a pas grand parti à tirer des bruits qui proviennent du mouvement des eaux de toute espèce. S’il s’attarde à les imiter, il aura vite lassé l’attention et les nerfs de l’auditeur. Celui-ci, ne percevant aucun dessin mélodique où se prendre, demandera grâce après un nombre modéré de tirades instrumentales, quelque savante qu’en soit l’harmonie, quelque merveilleux qu’en soit le coloris, ou pour mieux dire le sonoris. Si l’épreuve se prolonge, l’auditeur réclamera ou s’endormira. Les sonorités du vent fourniront quelques effets plus musicaux, susceptibles d’être interprétés par la petite flûte si la tempête siffle, par le basson ou les contre-basses si l’ouragan gronde. Je crois que j’ai tout bien compté.

Parmi ces imitations, toutes forcément inexactes, je le répète, celles qui fatiguent promptement et intéressent peu appartiennent à la catégorie des sons qui n’ont presque rien de commun avec la voix. Au contraire, celles qui plaisent, intéressent, émeuvent même, ressemblent assez à des voix pour que l’auditeur croie : entendre quelque chose de la menace, de la colère, de la plainte, du gémissement. Je tâcherai tout à l’heure de déterminer la cause de ces effets. Je veux montrer d’abord, par un fait curieux, que c’est bien la qualité vocale de certains bruits naturels qui agit sur notre âme ut que c’est à ce titre qu’ils méritent d’entrer dans le tissu de la composition musicale.

Voici dépeintes par Berlioz, avec une rare vigueur de style, les tristesses des jours d’hiver, le retentissement dans l’âme humaine