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Avec ces sons réflexes, le langage est né ; il n’a plus maintenant qu’à se développer en s’organisant et en s’adaptant à la pensée (part. II, iii, § 487-527). Associé primitivement à une perception ; le réflexe spontané du son gagne à une répétition fréquente une association plus forte. De mêmes réflexes traduisant des désirs et des besoins identiques dans tous les hommes, chacun a ainsi un écho dans tous et parvient à se faire entendre d’eux. De ce moment date la véritable naissance du langage. — Sans doute son premier terme dut être l’onomatopée, cette formation instinctive du son à la ressemblance de l’intuition qu’il traduit (id., § 503-511). L’homme prend ainsi conscience de lui-même et des autres dans le son, ce « pont entre les esprits » ; par cet intermédiaire, il vit dans les autres, il connaît leurs joies et leurs douleurs, et de la sympathie naît l’esprit collectif de la société. — En même temps, le son révèle à l’homme la nature des objets qui le provoquent, en lui manifestant les sentiments qu’ils éveillent en lui ; une première notion, toute subjective, des objets, prend naissance, et l’habitude associe d’une façon permanente l’objet au son qu’il a une fois excité (id., § 516-527).

Le langage n’a plus dès lors qu’à se développer (part. II, iv, 528-594). — Un premier progrès distingue le mot en sujet et prédicat ; il se forme des associations de perceptions, des fusions de représentations dont M. Steinthal donne très longuement les formules ; le langage se précise, fait des distinctions, traduit les nuances de la pensée. Enfin le langage, dans un progrès constant, aide aux développements de l’esprit et lui permet de s’élever, à travers les degrés de la représentation jusqu’à la pensée et à la notion.

Enfin un dernier chapitre (part. II, v, § 595-649) traite du langage comme mécanisme au service de l’intelligence, et des phénomènes pathologiques qui suppriment ou altèrent ses fonctions.

On ne peut disconvenir que ce soit là un beau livre, plein d’idées larges et fécondes, écrit dans une forme entraînante, pleine de souffle et de verve, et à qui l’on doit de ne pas faiblir parfois au milieu des distinctions prodiguées à l’excès et de l’abus des formules. Il y a dans M. Steinthal la contradiction curieuse de deux tendances tout opposées. Il est dans ce livre des pages imprégnées d’une sorte de mysticisme romantique qui rappelle Schelling ; et d’autre part, partisan déclaré de Herbart, il professe un amour sincère du réel et de la vérité positive, qui n’est en aucune façon un sacrifice à la mode du jour. De l’union imparfaite, ou plutôt de la lutte constante de ces deux tendances naissent toutes ces inconséquences, ces indécisions, ces contradictions qu’il serait aisé de relever. — Si M. Steinthal voulait consentir à s’observer lui-même, il nous décrirait merveilleusement ces deux groupes de représentations qui se disputent son âme ; il nous les montrerait l’un et l’autre trop riches et trop forts pour se soumettre, entraînés dans une lutte de tous les instants où ils ont tour à tour l’avantage, se heurtant, se poussant, s’entravant au lieu de s’entr’aider ;