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ANALYSES.h. steinthal. Science du langage.

façonne et qui est la maîtresse du corps, au lieu d’en être l’esclave ? Est-il nécessaire de montrer tous les caractères qui affirment la nature sublime et divine de l’âme humaine : la sociabilité qui engendre dans son développement la famille et l’État ; le sentiment de la beauté, lié chez l’homme à sa faculté d’aimer en tout temps et en toute saison ; la force de la sympathie, qui lui interdit de vivre dans la solitude, qui nécessite le travail commun de la société et l’association des hommes pour la pensée ; enfin ce sentiment de la beauté divine qui donne naissance aux arts, et ce frisson devant l’inconnu qui est la source de la religion. — N’est-ce pas là autant de preuves de la grandeur de l’homme et de la nature spéciale de son âme, qui, à l’aide de cette force qui l’emporte vers ces développements ultérieurs de l’esprit, crée le langage, ce premier terme de l’humanité, cette révélation de sa noblesse et de sa divinité (ibid., § 438-474).

Avouons-le, ce chapitre est celui de tous qui nous satisfait le moins. Dans ce brillant réquisitoire contre les bêtes et cette éloquente glorification de l’homme, l’auteur a accumulé les arguments en faveur de notre suprématie sur les animaux, en vue d’appuyer certaines idées téléologiques, esthétiques, spiritualistes qui lui tiennent à cœur. Il a pris une sorte d’homme idéal, achevé, parfait, qu’il a mis en regard de l’animal en soi, tout aussi abstrait ; il nous a fait voir, ce qui était aisé, l’abime qui les sépare, et il en a conclu à une différence de nature, à des âmes différentes. Il a invoqué des arguments physiques tels que la station droite, etc., qui provoqueraient le sourire des naturalistes, et traité de mépris leurs efforts non pas pour rabaisser l’homme au niveau de la bête, mais pour expliquer les différences physiques qui sont le fondement des différences psychiques. — Sur le terrain positif, il aura toujours le dessous ; les anatomistes, les physiologistes invoqueront I instabilité plus grande des éléments et la complexité plus élevée de l’organisation ; les naturalistes lui montreront le progrès dans la série des êtres, et tous les moments disparus et effacés du développement de l’homme depuis l’instant de son apparition sur la terre. — Autant les doctrines positives nous semblent insuffisantes et impuissantes au regard de la vérité philosophique, autant elles sont fortes contre les prétentions surannées et les fictions sans consistance de spiritualismes timides et incolores.

Revenons à M. Steinthal et abrégeons. — Le langage se produit d’abord consciemment ; l’enfant et l’animal manifestent par les cris le sentiment qui les domine. Le langage devient instrument de l’âme ; « la domination de l’esprit sur le corps éclate dans les sons, et la liberté est l’essence du langage. » C’est le moment de la délivrance de l’âme ; elle se délivre des impressions sensibles, les élimine sous la forme des mots (Lotze). L’homme parle comme la forêt bruit sous l’action du vent : l’éther avec les rayons lumineux, l’air avec les sons et les odeurs, enfin le souffle de l’esprit passent sur le corps humain, et sa résonnance est le langage.