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des bruits d’un de ces plus sombres jours, et la signification psychologique attribuée à ces bruits par une intelligence musicale, non d’après une théorie, mais sous l’impression immédiate des phénomènes naturels :

« Que faites-vous en ce moment, mon cher M*** ? Avez-vous un bon feu ? votre cheminée ne fume-t-elle point ? Entendez-vous, comme moi, le vent du nord geindre dans les combles de la maison, sous les portes mal closes, dans les fissures de la croisée inhermétiquement fermée, se lamenter et gémir, et hurler, comme plusieurs générations à l’agonie ? Hou ! hou ! hou !… Quel crescendo ! Ululate venti !… Quel forte !… Ingemuit alta domus… Sa voix se perd… Ma cheminée résonne sourdement comme un tuyau d’orgue de soixante-quatre pieds. Je n’ai jamais pu résister à ces bruits ossianiques ; ils me brisent le cœur, me donnent envie de mourir. Ils me disent que tout passe, que l’espace et le temps absorbent beauté, jeunesse, amour, gloire et génie ; que la vie humaine n’est rien, la mort pas davantage, que les mondes eux-mêmes naissent et meurent comme nous ; que tout n’est rien… Et le souffle orageux recommence à chanter avec effort dans le style chromatique : Oui !  !  ! oui !  !  ! oui !  !  ! Tout n’est rien ! tout n’est rien ! Aimez ou haïssez, jouissez où souffrez, admirez ou insultez, vivez ou mourez ! qu’importe tout ! Il n’y a ni grand ni petit, ni beau ni laid ; l’infini est indifférent, l’indifférence est infinie… Hé… las !… Hé… las !…

Talia vociferans, gemitu tectum omne replebat…

« Cette inconvenante sortie philosophique, mon cher ami, n’était que pour amener une citation de Virgile, et j’aime à le citer ; c’est une manie que j’ai et dont vous avez dû déjà vous apercevoir.

D’ailleurs les vents s’apaisent,
Les voilà qui se taisent,

et je n’ai plus envie de mourir, Admirez l’éloquence du silence, après avoir reconnu le pouvoir des sons ! Le calme donc étant revenu, toutes mes croyance me sont rendues[1]. »

Relisez ces lignes : la psychologie y déborde, une psychologie personnelle, directe, jaillissante, pour ainsi dire, et aboutissant toujours à donner à la nature extérieure des voix semblables ou tout au moins analogues à la nôtre. On entend, avec Berlioz, la voix du vent geindre, se lamenter, gémir, hurler, se perdre, revenir, chanter, parler même. Retranchons la parole, qui n’y est pas, la voix, qui y est, restera. Et Berlioz l’appelle de son nom. Or il s’agit ici du souffle orageux et des vents ossianiques. Comment douter encore que, lorsqu’ils « nous

  1. Les grotesques de la musique, pp. 294-296, Edit. de 1880. Calmann-Lévy.