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se voit obligée de tout tirer d’elle-même, sa certitude se change en tension intime, en devoir, son savoir devient un vouloir… Elle bornera son enseignement à l’indication des moyens par lesquels l’individu peut atteindre les fins qu’il a en vue, de quelque nature que soient d’ailleurs ces fins (ibid.).

Platon et Aristote, en termes différents, n’ont pas dit autre chose. On se demande aussi comment M. Zeller accorde tout ce qu’il dit de l’éristique des sophistes avec leur caractère moral, d’honorabilité. Si l’éristique telle qu’il la présente, avec son habileté formelle et peu loyale, est inséparable de la sophistique, comment la justifier ? Platon a écrit, dit-on, une satire ; Aristote a fait une théorie générale. L’un a fait un tableau, l’autre un traité. Soit. Ce qu’ils ont dit s’applique aux sophistes de tous les temps. Sans doute, cela n’excuse pas les sophistes. On a beau distinguer deux classes de sophistes, les premiers et les seconds, ceux-ci dégénérés ; il n’y a de différence qu’en degré et pour les doctrines et pour le caractère. La seconde génération est fille légitime de la première : M. Zeller lui-même en convient (page 514) quand il dit des grands sophistes : « Les maîtres avaient eux-mêmes préparé cette décadence. Les excès éristiques de la sophistique ne sont donc pas plus un effet du hasard que ne le fut plus tard le lourd formalisme de la scolastique, et tout en faisant, comme il convient, la différence entre les facéties d’un Dionysodore et l’éristique d’un Protagoras, nous ne devons pas oublier que celles-là procèdent de celles-ci en première ligne » (515). Cela est très juste, mais infirme le premier jugement. Que devient alors le plaidoyer de M. Grote ?

M. Zeller, toujours, quoi qu’il veuille et plus qu’il ne croit, avons-nous dit dans notre premier article, est resté hégélien. Il revient à l’opinion de Hegel, quand il examine la valeur et le rôle historique de la sophistique. Il en fait la face subjective de la raison humaine (p. 544). La manière dont il explique cette formule est le commentaire à peine déguisé de Hegel sur la sophistique. Mais, d’autre part, comment accorder la thèse allemande avec la thèse anglaise ? Lui-même voit bien qu’elles se contredisent, il s’efforce en vain de les concilier. Ainsi, après avoir fait l’éloge des sophistes, les émancipateurs de leur temps, les encyclopédistes de la Grèce (Cf. Hegel) énuméré les services qu’ils ont rendus, il trace un parallèle avec les vrais philosophes, qui, on l’avouera, n’est rien moins que flatteur. « Ils apparaissent comme pleins de prétention et de forfanterie. Leur vie vagabonde, leurs leçons salariées, leur empressement à quêter des élèves et des succès, leurs rivalités mesquines, leur jactance souvent ridicule, forment un contraste remarquable avec la grandeur simple d’un Socrate, avec la noble fierté d’un Platon, etc.

M. Zeller termine son appréciation par ce jugement général, qui n’est autre que celui de Hegel : « La sophistique est le fruit et l’instrument de la plus profonde révolution qui ait eu lieu dans les idées et dans la vie intellectuelle du peuple grec… C’est ainsi qu’une tentative qui était légitime engendre par suite de son caractère exclusif des résultats fu-