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Qu’enfin les livres VI et VII ont été interpolés par Platon dans son œuvre, en refondant dans ce but la fin du livre V, à une époque postérieure, où ses idées avaient changé sur nombre de points, notamment sur l’âge auquel il convient d’aborder la dialectique. Cette époque ne peut être exactement précisée, mais elle semble relativement tardive.

Ces conclusions sont assez fortement appuyées pour me sembler désormais acquises à l’histoire de la philosophie.

Après ce premier échange d’hostilités entre le grand comique et le disciple de Socrate, un certain rapprochement eut lieu entre eux. Aristophane dut reconnaître qu’en fait ils appartenaient au même parti politique ; il ne dut pas ignorer l’admiration que Platon professait ouvertement pour son talent ; il fut donc naturellement conduit à étudier de plus près celui qu’il avait attaqué plus ou moins à la légère ; en l’étudiant, il s’imprégna quelque peu de ses idées, et cette influence est visible dans le Plutus (seconde rédaction, 388). De son côté, Platon, après la mort d’Aristophane, rend dans le Banquet un juste hommage à sa mémoire et le réconcilie idéalement avec ses anciens adversaires, Agathon comme Socrate, mais non sans lui adresser quelques railleries plus ou moins déguisées, bien légère vengeance de l’abus que le poète devait lui sembler avoir si souvent fait de son génie.

Tel est le cadre du travail de M. Chiappelli ; il a su le remplir d’analyses pénétrantes, de rapprochements ingénieux, d’aperçus suggestifs.

Il n’est guère qu’un seul point où je ne sois pas porté à partager ses vues, et que je veux relever, ne fût-ce que pour l’engager à nous donner sur un sujet voisin une étude aussi approfondie et aussi intéressante.

Il voit dans le vers 362 du Plutus une allusion à un passage du Phédon (89, E) et est conduit par là à attribuer à ce dernier dialogue la date de 388 au lieu de celle de 384, indiquée par Teichmüller. Les arguments de ce dernier ne lui semblent pas d’un grand poids, et la nouvelle date qu’il donne au Phédon lui paraît éliminer une grave difficulté, celle de la position du Ménon, qu’il juge antérieur au Phédon.

J’avoue que je ne vois nullement comment la difficulté est éliminée ; elle me semble au contraire aggravée. M. Chiappelli néglige le critérium de Teichmüller d’après lequel le Ménon appartient à la seconde période du style de Platon, le Phédon à la première. Ces deux périodes sont rées par le Théétète, de 384. Le Ménon est placé aussitôt que possible en 383, avant la catastrophe d’Isménias.

Si le Phédon (72, E) fait allusion au moins à un dialogue antérieur où la théorie de la réminiscence a été soutenue, ce peut être l’Euthydème, de 397. Pour l’allusion analogue de la République (506, C), il n’y a pas lieu d’en tenir compte davantage, d’autant qu’elle appartient au livre VI, de date maintenant reconnue postérieure. Le caractère socratique du Ménon est une difficulté réelle ; mais le principe de la méthode que suivent Teichmüller et Chiappelli est précisément de ne considérer que tout à fait en dernière ligne des raisons de cet ordre, et il faut