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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

brisent le cœur et nous donnent envie de mourir », c’est qu’ils sont pour nous de véritables voix ?

Ce ne serait pas assez d’avoir enregistré cette confirmation nouvelle de notre psychologie musicale et cette indication du juste degré où peut atteindre limitation symphonique de la nature. La page si lumineuse de Berlioz jette du jour sur un autre aspect très important de la question.

Que le lecteur veuille bien rappeler ses souvenirs : il y retrouvera que les bruits dont il vient d’être parlé sont toujours tristes et que, s’ils varient, ce n’est que par le plus ou moins de tristesse qu’ils expriment et qu’ils communiquent à l’âme humaine. Souvenons-nous, en outre, de cette ligne de Berlioz :.… « Et le souffle orageux recommence à chanter avec effort dans le style chromatique. » Supposez maintenant que le caractère chromatique soit enlevé à ces bruits s’ils cesseront aussitôt d’être tristes. On s’en assure en essayant une imitation musicale de ces bruits où le style chromatique manquerait autant que possible.

Or qu’est-ce que le style chromatique ? C’est celui qui procède par demi-tons. Plus il contient de demi-tons, plus il est chromatique. Il le serait encore davantage s’il montait et descendait par quarts de ton ; encore davantage, s’il n’admettait que des huitièmes, des seizièmes de ton. Il serait tout à fait chromatique si les intervalles s’y succédaient sans aucune distance appréciable, par nuances insensibles, comme dans les sifflements du vent. La musique n’accepte pas aujourd’hui de fractions plus petites que le demi-ton. Lors donc qu’elle se propose d’imiter, selon son pouvoir, le chromatisme de la nature physique, elle a recours au mode qui contient le plus de demi-tons, c’est-à-dire au mode mineur de notre système. D’où il résulte que les voix tristes de la nature sont, dans la réalité, traduites par le style chromatique, — et, dans la musique, par le mode mineur. Mais pourquoi le chromatisme des bruits naturels d’une part, et, d’autre part, le mode mineur en musique sont-ils empreints d’un caractère de tristesse ? Cherchons-en la raison. Peut-être cette raison est-elle purement psychologique et vocale.

Les êtres qui composent la nature et qui sont inférieurs non seulement à l’homme mais même aux animaux, ne sont en aucune sorte ni gais ni tristes, ni heureux ni malheureux. Si donc les bruits, si les sons qu’ils rendent nous paraissent tristes, ce doit être parce qu’ils reproduisent quelque chose de notre âme lorsque celle-ci est atteinte de tristesse. £t comme ces êtres ne sauraient ressembler de loin à notre âme que par les sons qu’ils font entendre, c’est à la sonorité de notre âme qu’ils ressemblent uniquement ; et la sonorité de notre