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E. DE HARTMANN. — l’école de schopenhauer

précisément dans la philosophie de l’histoire si mal comprise de Schopenhauer. Dans le but unitaire et dans l’action unitaire, un certain idéalisme objectif fait valoir ses droits ; cet idéalisme, il est vrai, dans l’unité de son origine agissant d’une manière inconsciente, ne trouve qu’un moyen très insuffisant de se réaliser. Ce qui a le plus de valeur dans cette philosophie, c’est précisément le courage spéculatif, avec lequel la négation schopenhauérienne du but individuel est par généralisation élevée jusqu’à la négation du but du monde, c’est-à-dire élevée en puissance dans le véritable esprit du maître. L’insuffisance de la démonstration provient de ce que le monisme est exclu de l’évolution du monde et placé avant le commencement de celle-ci ; or par là la téléologie de l’évolution du monde devient précisément inintelligible dans son principe. Le pessimisme est maintenu dans toute sa rigueur ; quant à l’éthique, elle est réduite à un insipide eudémonisme individuel. La partie la plus faible du système est sa philosophie de la nature, dans laquelle, vis-à-vis de la loi universellement admise de la conservation de la force, on fait valoir une loi de la diminution graduelle de la force.

Bahnsen est un réaliste de la volonté purement individualiste, qui laisse indécise la question relative à un fond unique et s’en tient à la multiplicité donnée des individus. L’idéalisme subjectif, il le remplace, comme on en a déjà fait la remarque, par un réalisme transcendantal, sur lequel il ne s’explique guère ; l’idée objective de Schopenhauer, il la dégrade jusqu’à en faire un produit purement esthétique de la conscience ; quant au pessimisme, il l’exagère jusqu’au misérabilisme du désespoir, en déclarant illusion tout espoir d’une délivrance individuelle ou universelle, et disant éternel le vouloir avec son tourment. Ce que sa philosophie présente de plus caractéristique, c’est qu’il fusionne la dialectique contradictoire de Hégel avec la métaphysique de la volonté, c’est-à-dire qu’il déclare que l’essence du monde est la volonté se divisant elle-même et se déchirant, sans réconciliation possible, sur chaque point du monde existant. De là suit pratiquement l’impossibilité de se soustraire au tourment, théoriquement l’impossibilité de connaître le monde par les formes de la pensée logique. La vie est un enfer sans issue, la connaissance, un piétinement sur place dans un cercle de contradictions. Si l’on ne veut pas renoncer à arriver à la connaissance, si l’on ne peut d’autre part triompher du peu de convenance qu’il y a à appliquer la faculté de penser logique à la nature illogique (ou antilogique) des choses, cela fait partie des contradictions irrémédiables de l’existence. Les écrits de Bahnsen, aussi bien pour la forme que pour le contenu, rentrent dans ce que la littérature allemande a produit de