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§ 2. Localisation des perceptions. — L’étude que nous venons de faire des diverses opérations par lesquelles, s’acquiert la notion d’étendue nous amène directement à l’étude de la localisation des perceptions. En effet, entre ces deux genres d’opérations, il y a continuité, et nous passons des premières à la dernière par des transitions insensibles. Puisque l’étendue n’est autre chose qu’un ensemble d’objets occupant les uns par rapport aux autres des positions diverses, et situés en dehors les uns des autres, nous pouvons dire que la conception de l’étendue était déjà un commencement de localisation. Pour que cette localisation soit parfaite, il ne reste plus qu’à déterminer exactement ces positions respectives ; et, pour achever la théorie de la localisation, nous n’avons plus qu’à chercher comment nous nous y prenons pour rendre plus précise cette localisation primitive et encore indéterminée.

On comprendra sans peine l’importance, je dirai même la nécessité de cette recherche. Quelle est en effet la connaissance la plus précise, la plus scientifique, la plus objective que nous puissions acquérir par l’emploi des organes des sens ? C’est celle de la forme véritable des objets. La perception de leurs diverses qualités sensibles n’a pour nous qu’un intérêt secondaire ; nous savons que ce genre de perception ne nous apprend que le rapport de l’objet à la nature de nos organes, ou plutôt encore à leur état actuel. Au contraire, la connaissance de la forme géométrique d’un corps est quelque chose de certain, d’invariable, et même d’absolu, si l’on peut prononcer ce mot quand il s’agit de connaissance. Mais qu’est-ce que la forme d’un objet ? C’est la position respective de ses diverses parties. Percevoir la forme véritable d’un corps, c’est donc localiser exactement les diverses sensations qu’il nous donne.

Pour établir d’une manière satisfaisante la théorie de la localisation, nous devons résister encore une fois au préjugé, résultant de nos habitudes d’esprit idéalistes, qui nous porte à prendre le moi comme point de départ de toutes nos connaissances. Comme on a dit que pour constater l’existence des objets il fallait avant tout les distinguer de nous-mêmes, on dira que pour reconnaître leur position dans l’espace il faut tout d’abord déterminer à quelle distance ils se trouvent de nous. À lire la plupart des livres de psychologie qui traitent de la perception, on reconnaît que l’auteur s’est représenté d’abord les sensations comme inhérentes à l’être sentant, puis s’est demandé comment cet être arrivait à les projeter en dehors de lui, dans l’espace environnant ; de sorte que les psychologues, qui ont cru poser dans toute sa généralité le problème de la localisation,