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de l’esthétique allemande, a nié cette importance, et les raisons qu’il donne peuvent paraître spécieuses ; nous les résumons.

« L’intelligence des arts particuliers, dit-il, de leur nature et de leurs lois, est peu favorisée par cette méthode, qui fixe à chaque art sa place et forme de leur ensemble un tout systématique ; car 1o la détermination de cette place doit suivre la connaissance positive antérieure de son but et de ses moyens. C’est le résultat d’une connaissance acquise, non le germe d’une connaissance à acquérir. 2o La plupart des dispositions données des différents arts sont trop générales pour qu’on puisse en tirer des règles précises. Là où cela est possible (et on ne le nie pas), il est bien à craindre que les efforts que l’on fera pour enfermer dans une formule l’essence de l’art et le faire rentrer dans la classification ne conduisent à exagérer son rôle. 3o Dans la vie réelle, les arts sont en rapport mutuel, et ils exercent des actions réciproques, mais jamais jusqu’à se grouper dans un ordre systématique. Cela peut avoir lieu dans la sphère des idées abstraites. Là, tout est invariablement fixé. Il n’en est pas de même des œuvres vivantes de l’art, où il s’agit de saisir plusieurs aspects à la fois. Aussi toutes ces classifications artificielles sont à la fois bonnes et mauvaises, elles ont tort et raison. Chacune met en relief un côté ou des côtés réels ; mais c’est merveille de voir le zèle avec lequel chacun s’efforce de montrer que sa manière nouvelle est la seule vraie et définitive et déclare les autres mauvaises ou insuffisantes. (Gesch. der Æsthetik in Deutschland, 458.)

Nous ne nous arrêterons pas à relever la faiblesse de ces arguments. Si cette opinion était vraie, il s’ensuivrait que toute classification dans un ordre quelconque d’idées ou de faits, non pas seulement dans ce qu’on appelle ici l’ordre des idées abstraites, serait à peu près impossible ou indifférente, ce qui est une thèse passablement sceptique. Il n’y aurait qu’à prendre la plus commode : ce que fait M. Lotze, mais ce qui ne lui réussit guère. La seule chose qu’on doive accorder, c’est qu’ici, comme partout, l’esprit systématique est à craindre, et qu’il faut se garder de ses écueils, se défier de la méthode à priori trop ordinairement suivie en pareille matière par les compatriotes surtout de M. Lotze, et souvent même par ceux qui la condamnent. Ce défaut, à bon droit reproché aux constructions de la philosophie allemande, l’esthétique ne l’a pas non plus évité. Il n’en est pas moins vrai qu’une science, celle-ci comme les autres, se renie elle-même et ne peut prétendre au titre de science, si elle renonce à classer les objets qu’elle étudie, à fixer leurs rapports, à les ranger dans un ordre rigoureux et systématique. Ce qui est vrai,