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BÉNARD. — problème de la division des arts

Si nous insistons sur ce commencement, sur le point de départ de la science du beau et de la théorie de l’art, c’est pour montrer qu’à l’origine tout est confondu, rien n’est distingué : les beaux-arts et les arts utiles, les sciences et les arts, les arts et les professions de la vie, l’art et la morale elle-même. À plus forte raison, la distinction des beaux-arts entre eux n’existe pas. Ainsi en est-il au début de toute science. Pour que les différences apparaissent, que l’importance d’une division soit comprise, et surtout pour qu’elle s’établisse sur un principe solide et raisonné, des siècles devront s’écouler, ce qui est la loi même du développement de l’esprit, comme la suite le démontrera.

II

De Socrate à Platon, la transition semble peu sensible, et le progrès en effet est difficile à marquer. Platon, sans doute, est un génie plus systématique ; sa méthode, la dialectique, donne une place encore plus importante à la division et à la distribution en genres et en espèces (V. Théétète, Phèdre). L’emploi constant qu’il en fait dans ses dialogues (le Politique, le Sophiste, etc.), est quelquefois poussé jusqu’à la subtilité. Elle devrait donc aussi s’appliquer à la division des arts. Et, en effet, cette question des sciences et des arts revient souvent dans ses discussions (Philèbe ; Rép., VII). Mais nulle part, le dialecticien ne songe sérieusement à les distinguer et à les classer. On ne trouverait pas même une différence précise entre les arts et les sciences, ni entre les arts utiles et les arts dont l’objet est le beau. Ceux-ci sont dits avoir pour but d’orner ou de plaire, quand ils ne sont pas simplement destinés à servir d’amusement ou de délassement ou d’être agréables. Mais nulle part Platon, qui les cite au hasard comme exemples, ne s’est proposé de les séparer, d’établir entre eux des ressemblances ou des différences précises, de leur assigner des rangs et de les coordonner.

Doit-on s’en étonner ? Non sans doute. Platon, lui-même grand artiste et poète autant que philosophe, en somme, dans toute sa philosophie, est très peu favorable à l’art, du moins à l’art proprement dit. Son système ultra-idéaliste lui en fait méconnaître la nature, le vrai rôle et les effets véritables. Le monde est une représentation des idées ; il est l’œuvre du souverain artiste, et lui-même est une œuvre d’art (Timée) ; mais l’idée qui en est le modèle, l’ensemble des idées d’après lesquelles il a été créé, forment un monde séparé. Elles ne s’y mêlent pas ; ou c’est par une lointaine participation qu’il en est l’image ou le reflet. Les choses sensibles qui les représentent