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par elles ne sont ni animées ni pénétrées. Ce sont des ombres, de pâles copies. Que sera donc à son tour l’art humain, comme il l’appelle ? que représente-t-il ? De simples copies, il y a plus : des copies de copies, ombres d’ombres, imitations d’une réalité vaine. Elles sont, dit Platon, à trois degrés de la vérité (Rép., X). Bref, l’idéal platonicien, l’idéal abstrait ne faisant pas d’alliance sérieuse avec le réel ou le sensible, est placé dans une région inaccessible à l’art, la région des idées, de l’intelligible pur ; la raison seule, non l’imagination, y peut pénétrer. Dès lors, la forme sensible, dont l’art a besoin, dont il doit revêtir l’idée pour produire ses œuvres, fait défaut ; elle est effacée ou sans lien véritable avec l’idée. Platon n’a pas compris l’art ; pourquoi ? C’est que l’art est composé de deux éléments et qu’un seul de ces éléments lui est apparu. Aussi l’art proprement dit, l’art humain, n’est pour lui qu’une pure imitation (μίμησις), l’imitation du réel. Il ne s’adresse qu’aux sens ; son but est uniquement de flatter et de plaire ; il excite les passions, exalte la sensibilité. Le point de vue moral, encore plus que chez Socrate, domine dans Platon. L’art par lui est jugé très durement ; il le soumet aux règles les plus sévères ; s’il s’écarte du but moral, il le condamne et bannit les poètes de sa république (II, x).

Si telle est l’idée que Platon se fait de l’art et des beaux-arts, comment se serait-il donné la peine de les distinguer, de les classer, d’établir entre eux des différences précises, de les comparer et de leur assigner des rangs, en un mot d’en essayer le système ? Aussi ne le fait-il pas. Il se borne à les citer, quand il les rencontre, et cela à côté des science, ou des arts utiles avec lesquels il les confond sans cesse. Dans son plan d’éducation, les uns et les autres sont désignés et compris sous la dénomination de musique, à laquelle se joint la gymnastique. On voit bien que, pour lui, la poésie est le premier des arts. Les principaux genres, l’épopée, la tragédie, la comédie, le dithyrambe sont nommés et indiqués (Gorgias ; Rép., II, vii). Mais nulle part on ne trouverait le dessein formé d’une simple esquisse ou ébauche de la division des beaux-arts, pas plus celui de rechercher le principe qui doit servir à former cette division. La seule distinction nette et précise, à son point de vue, est celle de l’art divin et de l’art humain : ποιητικῆς δὴ πρῶτον δύο ἔστω μέρη· τὸ μὲν θεῖον, τὸ δὲ ἀνθρώπινον (Soph., 265). L’art humain a deux formes essentielles : l’art qui ne vise qu’à l’agréable (μιμήματα πρὸς τὰς ἡδονὰς μόνον, Polit., 288) et l’art qui tend au bien. Il y a deux Muses, la muse flatteuse et voluptueuse, et la muse amie de l’ordre (Lois, II ; Rép., VII). Platon est très sévère pour l’une et la bannit ; la seconde, comme moraliste, il l’honore et la conserve ; on sait à quelles conditions.