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BÉNARD. — problème de la division des arts

Mais ce n’est là nullement une division réelle. Platon confond partout les arts avec les sciences. Il parle de la philosophie elle-même comme étant le premier des arts (Phédon). cite la médecine et la gymnastique à côté de la musique et des autres arts. Les sciences elles-mêmes, ainsi que les arts, ne seront distinguées entre elles que parce que les unes, comme les mathématiques pures, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie, se passent de l’expérience et sont construites à l’aide du raisonnement, tandis que les autres ont besoin de l’expérience et sont des sciences appliquées. Il y a ainsi deux arithmétiques, deux géométries, deux astronomies et deux musiques, comme aussi deux architectures, etc., selon qu’elles se laissent guider par des règles indépendantes de l’expérience ou qu’elles obéissent à la routine ou à la conjecture (V. Rép., VII).

De là, que conclure ? Que la division des arts, chez le disciple de Socrate, malgré la supériorité de sa méthode et de son génie, n’a rien gagné, et qu’aucun progrès réel n’est à constater dans sa manière d’envisager l’art et ses formes diverses ? Il semble bien en effet que le problème ait moins avancé que reculé. Mais c’est là une manière étroite de juger en histoire. Une science avance souvent plus par les erreurs des hommes de génie que par les conceptions vraies, mais banales de ceux qui savent se conformer à l’opinion vulgaire, Platon n’a pas moins le premier affirmé et mis en relief l’un des deux côtés essentiels de l’art et le plus important, l’idée, l’idéal abstrait, il est vrai, mais l’idéal. Qu’il lui ait sacrifié l’autre côté, le côté réel, lui-même partie intégrante du véritable idéal, qu’il n’ait pas vu le lien qui les unit ou doit les unir, on a droit le reconnaître, sinon de le lui reprocher. Il n’en est pas moins le vrai fondateur de la science du beau ; la philosophie de l’art elle-même lui doit d’avoir fait sortir le problème du vague et de l’indécision où il apparaît chez Socrate. C’est par contraste et par opposition qu’une science avance ; ce que Platon sépare ou exclut, l’esprit sera forcé plus tard de le réintégrer, et le rapport ne sera que mieux aperçu. En tout cas, les erreurs de Platon n’autorisent personne (Zimmermann, Schasler) à parler dédaigneusement de son esthétique, ni même de sa théorie de l’art, pas plus que des autres parties de sa philosophie.

Un enseignement, au moins, ressort de cet examen de la théorie platonicienne : c’est que, tant que l’idée vraie de l’art ne sera pas clairement et nettement définie, la division des arts elle-même sera impossible à établir, du moins sur des bases solides.