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III

Aristote n’a pas traité de l’art en général ni d’aucun des arts particuliers, si ce n’est de la poésie. Sa Poétique d’ailleurs n’est qu’une ébauche et un fragment, où l’œuvre dramatique, et la tragédie seulement, est analysée. Ce qui, dans cet écrit précieux, mais incomplet, qui a joué un si grand rôle dans l’histoire de l’art et de la littérature, est dit des autres arts, réduit à quelques lignes que l’on interprète à l’aide de courts passages de la Politique, de la Morale et de la Rhétorique. On a pu faire là-dessus des volumes ; il n’en sortira jamais une esthétique ni une philosophie de l’art. Quant à la division des arts, elle paraît en effet, clairement indiquée aux premières pages de la Poétique et le passage est des plus remarquables.

« Les arts, dit Aristote, ont tous cela de commun qu’ils sont des imitations (μιμήσεις). Mais ils diffèrent en trois points : 1o par les moyens d’imitation, 2o par les objets qu’ils imitent, 3o par la manière de les imiter. Les uns imitent par la voix et le rythme, les autres par la forme, la couleur et le dessin. Les uns imitent les objets comme plus beaux, les autres comme moins beaux qu’ils ne sont, les autres tels qu’ils sont. Une troisième différence vient de ce que les uns représentent directement ou par le récit, les autres en faisant agir les personnages. » Aristote, comme exemples dans cette division, cite la sculpture et la peinture, c’est-à-dire les arts du dessin, puis le musique, la danse et la mimique, en dernier lieu la poésie avec ses espèces. L’architecture est omise ou exclue comme n’imitant pas les objets et spécialement consacrée à l’utile.

Voilà, certes, une division qui au premier abord paraît très claire et très précise. Elle fait le plus grand honneur au sens profond et juste d’Aristote. Sa manière à la fois rationnelle et positive, sa supériorité de coup d’œil s’y révèlent mais, croire qu’il n’y a qu’à s’appuyer sur cette base pour édifier un vrai système des arts, c’est, selon nous, adopter une méthode d’interprétation fort suivie, il est vrai, mais qui ne nous paraît ni historique ni philosophique. Son inconvénient très grave est de contredire la loi de l’histoire selon laquelle tout se fait non par sauts ni par bonds, per saltus, comme dirait Leibnitz, mais lentement et par degrés. Elle fait éclore trop tôt ce qui est le fruit mûri du temps et le lent produit des siècles, que les plus grands génies ne sauraient devancer. Elle a un plus grave défaut, celui d’être injuste envers nos devanciers placés plus près de nous, de ravir à ces ouvriers de la dernière heure le prix de leur