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BÉNARD. — problème de la division des arts

operis, quod oculis subjicitur consummatione finem accipiunt quam ποιητικὴ appellamus, qualis est pictura (Inst. orat., II, 19).

Malgré la sagacité de ces distinctions, on ne peut méconnaître le vague et la confusion qui y règnent et les caractérisent.

De tous les auteurs de l’antiquité, Pline, on le sait, est celui qui nous a laissé les pages les plus précieuses sur l’histoire de l’art, sans même en excepter Philostrate. Mais, dans l’énumération qu’il fait des artistes parmi les hommes de génie qui ont illustré le genre humain, il ne suit aucun ordre et ne marque aucune division précise. Il se sent même très embarrassé de faire entre eux un choix et renonce à les classer : ingeniorum gloriæ quis possit agere delectum per tot disciplinarum genera et tantarum operum varietatem (VII) 30 ? Il confond les arts et les sciences. Aux arts comparés entre eux il n’assigne ni rang ni place distincte. On voit bien, par exemple, qu’il préfère la peinture à la sculpture, à l’architecture et à la musique. Dans l’éloge enthousiaste qu’il fait de Cicéron, son patriotisme met l’éloquence au-dessus des arts du dessin. L’art par excellence, c’est l’art de gouverner les hommes ; le regere imperio populos est le premier des arts. Il n’est dit que quelques mots de la poésie. Ce n’est pas sans dédain qu’il parle de l’imagination des Grecs : græca fabulositas. Tous les arts d’ailleurs, les arts de pur agrément, les arts de luxe, ont contribué à la corruption des mœurs romaines, ad corruptelam et perniciem. Il regrette le temps où ils étaient tout à fait inconnus.

Il serait fastidieux de compulser les écrits de ces divers auteurs pour y découvrir quelque chose qui eût trait à la division des arts et qui méritât d’être relevé. Les passages à recueillir ne prouveraient qu’une chose : c’est que l’importance de la question ne leur apparaît même pas ; tous se répètent en répétant ce qu’a dit Aristote, ou bien ils se bornent à ce qu’est l’opinion vulgaire. Aucun ne manifeste l’intention sérieuse d’examiner et d’approfondir le sujet, de diviser les arts, de les classer, de les distinguer et de les comparer, encore moins de rechercher le principe qui doit servir à les coordonner. Les Alexandrins ou Néoplatoniciens, tels que Plotin et Proclus, n’y songent pas davantage. Un pareil problème, pour eux, d’ailleurs n’aurait pas d’intérêt : il est trop éloigné de la spéculation philosophique telle qu’ils la conçoivent et de leur manière de philosopher. Absorbés qu’ils sont par la recherche de l’unité, tout ce qui a trait à la diversité les touche peu et n’a pour eux aucune importance réelle. Ils s’attachent plutôt à supprimer les différences qu’à les marquer ou à les reconnaître. S’ils établissent des rapports entre les formes diverses de l’existence et de la pensée, c’est pour ensuite les effacer, afin de faire ressortir le principe où elles se fondent et