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ces questions, abandonnées aux poètes, aux artistes et aux écrivains, qui les traitent dans leurs préfaces ou dans des dissertations spéciales (V. Corneille, Racine, Molière, La Bruyère, etc.).

VI

Au xviiie siècle, la théorie des arts occupe une place beaucoup plus grande et plus importante dans les écrits de cette époque. Mais ce sont encore plutôt les esprits de second ordre, les érudits, les littérateurs de profession qui s’en occupent ; il faut attendre la fin de ce siècle pour que les esprits supérieurs, les métaphysiciens ou les philosophes donnent à de pareils sujets une attention sérieuse et une place dans leurs recherches. Aucun des chefs des diverses écoles ne les a traités avec quelque étendue, et soumis à un examen quelque peu approfondi. Ce sont des écrivains d’ordre secondaire, comme Batteux, Dubos, Marmontel qui essayent de les agiter et encore sans s’être donné la peine d’étudier les chefs-d’œuvre des arts dont ils prétendent tracer la théorie et assigner les règles. La critique d’art, il est vrai, est née avec Diderot. Mais on sait ce que valent ses principes. Sa métaphysique du beau, sa théorie du naturel dans l’art l’entraîne à des exagérations qui déparent les meilleures pages de ses salons où d’ailleurs abondent les idées originales et les vues fécondes. Mais n’attendez pas de ce génie essentiellement improvisateur et souvent fantasque, qu’il s’astreigne à suivre une marche régulière ni à reconnaître aux arts des limites et à leur tracer des divisions, accoutumé qu’il est à franchir toutes les barrières.

Nous devons être plus sévère à l’égard du mathématicien philosophe qui a tracé le cadre de l’Encyclopédie, ce monument du xviiie siècle, et qui en a marqué dans la Préface le plan total, les divisions et les subdivisions. Les connaissances humaines, les arts aussi bien que les sciences y sont classées. Nous sommes en droit de lui demander quel rang il assigne aux beaux-arts, comment il les divise, comment il dresse son arbre généalogique des connaissances humaines. D’Alembert, esprit correct, mais circonspect et timide, sans originalité d’ailleurs comme philosophe et sans fécondité, se borne, on le sait, à emprunter à Bacon son plan général, qu’il modifie dans les détails. Comme lui, il admet la division d’après les trois facultés, mémoire, imagination, raison ; il en change seulement l’ordre et place l’imagination au troisième rang, comme empruntant aux deux autres à la mémoire et à l’entendement, leurs données et leur direction. La