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général que le repos et l’action. L’attitude générale du corps, qui se dispose pour le relâchement ou la tension des muscles, parle plus haut que le visage lui-même.

Il est impossible de bien se reposer debout sur ses pieds ; aussi la mimique du repos ne peut-elle se concevoir qu’avec la position assise ou couchée, et plus le corps se rapproche de l’horizontale, plus est significative la mimique du repos ou de la fatigue. L’homme incline la tête sur le cou, les différentes parties des bras et des jambes se replient les unes sur les autres. Les contractions musculaires se réduisent ainsi de plus en plus, laissant aux muscles les plus robustes, qui sont dans la partie postérieure du corps, le soin de nous maintenir assis. Si la fatigue est plus grande encore, il faut qu’un nombre plus grand de muscles cesse de travailler.

De la position assise nous passons par des transitions successives à la ligne horizontale, demandant des points d’appui d’abord aux articulations inférieures, puis aux bras, puis enfin aux épaules et au thorax.

Les hamacs des tropiques, les sièges de bambou de l’Inde, nos sofas et nos lits répondent à ces divers stades et à ces modes différents du repos, du relâchement musculaire. Le summum de la mimique du repos se confond presque avec la mimique du sommeil, qui est le repos des repos, puisque la conscience elle-même cesse de travailler. Jusqu’ici, l’on avait cru que le repos absolu, requiem æternam, c’était la mort plutôt que le sommeil.

Par un oubli assez bizarre, M. Mantegazza ne mentionne point cette forme suprême. Au point de vue mimique et esthétique, il a peut-être raison. Au moins, suivant nos impressions personnelles, un cadavre n’a pas d’expression ; en dehors de toute hypothèse métaphysique ou philosophique, c’est comme une maison vide et délaissée. Dans le sommeil, au contraire, même quand la conscience repose, on pressent encore une unité vivante.

La mimique de l’action est, naturellement, en opposition absolue avec celle du repos. Les muscles se tendent au lieu de relâcher, et la station verticale devient l’attitude vers laquelle convergent tous les mouvements.

Un des plus curieux parmi ces derniers, c’est celui par lequel dans toute action la bouche se ferme énergiquement. Ce mouvement de la bouche est caractéristique de la volonté de lutter que nous jugeons décidés, obstinés, les hommes qui ont le menton fort et saillant.

D’après M. Mantegazza, si, avant de faire un effort, nous fermons la bouche, ce n’est pas, comme le croit Gratiolet, pour retarder la circulation, mais pour donner un point d’appui solide aux muscles et pour avoir une bonne provision d’oxygène pendant la dépense d’énergie musculaire que nous nous disposons à opérer. Nous ne voulons pas être dérangés au milieu de notre entreprise par la nécessité de respirer. Cette théorie se rapproche, au point de se confondre avec elles, des explications données par Bell et Darwin.