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sous les yeux. Et comme, pour mesurer quoi que ce soit, il faut une unité, nous prenons nécessairement pour terme de comparaison les mouvements que certains sentiments déterminés déterminent en nous-mêmes. L’unité de mesure est donc variable avec chaque observateur ; elle ne présente comme éléments fixes, permanents que certains caractères très généraux. C’est ainsi, par exemple, que les Français pourront, à la rigueur, porter un certain nombre de jugements exacts les uns sur les autres, parce que, par l’effet des habitudes héréditaires de la vie en commun, etc., leur physionomie présente pour ainsi dire des formules traditionnelles. Quand il s’agira, au contraire, d’apprécier un individu de race différente, les opinions offriront la plus grande divergence.

M. Mantegazza a soumis à ses élèves la photographie d’un jeune nègre acca, Thiébault, élevé en Italie. Quarante-six observateurs l’ont trouvé beau, trente-huit l’ont déclaré affreux ; au point de vue moral, une moitié des élèves ont estimé qu’il était bon, et l’autre moitié qu’il était méchant.

À cette première cause d’erreur, le caractère variable du terme de comparaison, vient s’ajouter une autre, dont nous avons déjà eu occasion de signaler ici l’importance à propos du livre de M. Gurney, Power of sound. Dans les mouvements mimiques, il y a un départ à faire entre ceux qui correspondent réellement à des mouvements psychiques et ceux qui sont provoqués par de simples excitations physiques. Les premiers seuls, naturellement, ont de l’importance au point de vue physionomique, mais la distinction n’est pas toujours facile à opérer. Quand nous autres Parisiens, par exemple, nous voyons un Nápolitain ou un Marseillais parler et gesticuler avec feu, nous sommes portés à croire qu’il ressent à ce moment-là les passions les plus vives. Pas du tout ; avec un peu d’attention, vous ne tardez pas à découvrir qu’il est aussi calme que vous qui ne bougez pas. C’est purement affaire de latitude, de tempérament, presque de température. Et nous devons produire une impression du même genre sur les Hollandais, les Anglais, etc.

Malgré tous ses efforts, il ne nous semble pas que M. Mantegazza ait réussi à dépasser de beaucoup les positions conquises par Gratiolet et Darwin, et, après comme avant son livre, la physionomique nous paraît un art bien plus qu’une science exacte, un art qui’ne s’apprend pas, qui ne se démontre guère, et où une femme, un enfant, j’allais presque dire un chien ou un chat seront souvent, et du premier coup, supérieurs aux savants et aux érudits les plus exercés.

G. Guéroult.

Paul Janet : Les causes finales, Paris, Germer Baillière. 2e édition. 1882, 1 vol.  in-8o, xi-756 pp. 

M. Paul Janet vient de donner une deuxième édition de son ouvrage sur les Causes finales. Cette réimpression est une preuve que le goût